Lucas Belvaux, 2009 (France)
Rapt s’inspire librement de l’enlèvement du baron Empain survenu en 1978 et transpose cette histoire de rapt et de demande de rançon de nos jours. Ce n’est donc pas une adaptation de cette affaire, même si les faits sont similaires (comme l’épisode du doigt coupé). Ici, celui qui est enlevé s’appelle Stanislas Graff, riche président d’un groupe industriel très puissant comptant pas moins de 130 000 salariés. Son importance dans le domaine économique l’amène également à fréquenter les plus hautes sphères du pouvoir (il prévoit par exemple d’accompagner le président de la République lors d’un déplacement en Chine). Personnage plutôt solitaire malgré sa vie familiale, il flambe beaucoup dans les casinos et autour des tables de poker. Un jour, il tombe dans les griffes d’un gang qui l’enlève et demande cinquante millions d’euros de rançon. L’affaire fait grand bruit et on s’aperçoit rapidement que la victime ne pèse pas autant d’argent qu’on le croyait, ayant perdu beaucoup aux jeux. La presse à scandales va alors se délecter de sa vie privée : outre ses lourdes pertes, ce sont surtout ses nombreuses relations extra conjugales qui sont mises à jour. Un sentiment de « il l’a bien cherché » s’empare alors de l’opinion publique et des médias… Un véritable enfer vécu par sa famille, en particulier son épouse et ses filles.
Lucas Belvaux s’est spécialisé dans la libre adaptation de faits divers, que ce soit pour le cinéma (La raison du plus faible en 2006) ou la télévision (Les prédateurs sur les dessous de l’affaire Elf, diffusé en 2007). Il analyse habilement les liens entre politique et économie, la lutte pour le pouvoir entre les grandes sociétés. Le film est aussi le terrain d’une guerre psychologique menée au sein même de la famille de la victime.
L’ensemble est plutôt bien filmé et repose sur des acteurs solides (Yvan Attal est impressionnant, les seconds rôles aussi). Là où le bât blesse, c’est dans le rythme : la narration est souvent lente (peut-être, consciemment ou pas, pour montrer combien l’attente d’une libération d’un otage est pesante). Rapt souffre par conséquent de longueurs (dialogues à rallonge) et le récit est assez linéaire.
Avec un rythme soutenu, le réalisateur aurait pu inscrire Rapt dans la lignée du diptyque sur Mesrine (L’instinct de mort et L’ennemi public n°1, 2008). En effet, les films de Belvaux et de Richet ont en commun un ton assez dur et violent (notamment lors de la séquestration), un acteur qui par son jeu et une transformation physique impressionnante crève l’écran (si Vincent Cassel avait pris vingt kilos, Yvan Attal en a perdu autant), un personnage central qui, souvent froid et cynique, suscite bien peu d’empathie. La musique inquiétante (signée Riccardo Del Fra) est aussi très similaire à celle de Mesrine, conférant aux deux métrages davantage de proximité. Cependant, malgré ses points forts, Rapt manque de davantage nous captiver et n’atteint en définitive pas la portée du projet de Richet.
Rapt n’est pas un film d’action. Mais c’est une sorte de règlement de compte.
Le film a été produit en 2009 et évoque la crise (déclenchée en septembre 2008). Les années 2000 en France ont été entachées des scandales (également cités) révélant les sommes aberrantes perçues par des patrons remerciés (les parachutes dorés sont ensuite surveillés par la loi de 2007).
Ici le grand dirigeant qu’est Yvan Attal est loin d’être bien traité, non seulement par ses ravisseurs (qui font leur travail de criminels, c’est bien normal), mais aussi par les médias et les politiques qui le conspuent (lui reprochant une vie débrayée), ainsi que par sa famille qui l’accable de reproches (la dernière partie du film). L’ancien patron n’aura plus que son chien pour le réconforter.
Je ne suis pas sûr que Belvaux s’en prenne vraiment à son personnage mais il est clair que Rapt traduit un malaise, une rupture, entre ce patron (les patrons ?) et le reste de la société.