Bertrand Tavernier, 2010 (France)
Une bataille s’achève à une extrémité. A l’autre, le visage d’une beauté se fige dans le paysage enneigé. Mouvements d’appareils et fougueuses chevauchées lient les deux bouts en une fuite où s’érodent les sentiments, se perdent les illusions et se ternit la jeunesse.
Mademoiselle de Mézières aiguise les appétences (Mélanie Thierry, impétueuse et délicate, se révèle véritablement). Devenue princesse au bras de Montpensier (Grégoire Leprince-Ringuet), les inclinations pour elle se renforcent au point que, même si elle les rejette, aucun des prétendants ne se retire rongé de douleur, ce que pourtant ferait Astrée. Bien au contraire, ducs de Guise et d’Anjou persévèrent (Gaspard Ulliel et Raphaël Personnaz). Mais dans un contexte de guerres de religion, les jalousies et les intérêts commandent les actions (dès le début, les duels amicaux à l’épée figurent les concurrences à venir). De la sorte, les jeux de dupes en matière amoureuse (les commerces tantôt souhaités, tantôt écartés, les quiproquos lors du bal) se calquent sur les cabales politiques qui font le quotidien de la société de cour. Seul le plus âgé des personnages, le comte de Chabannes (Lambert Wilson), n’agit pas par calcul, si ce n’est pour satisfaire la femme aimée qu’il ne convoite pas. Le précepteur intériorise son amour et, selon les moralistes classiques, s’avère le plus vertueux au milieu des jeunes soupirants. Il est aussi valorisé par Tavernier. La nuit de la Saint-Barthélémy, une autre fin que celle figurant sous la plume de Madame de Lafayette lui est réservée. Au cinéma, le comte n’est pas assassiné par erreur mais tombe transpercé alors qu’il défend une huguenote agressée. Les jeunes gens, eux, perdus dans l’incommodité de leur passion, vite s’épuisent.
Le XVIe siècle dépeint est moins austère que dans La comtesse (2009) et, à l’inverse de la fresque mortuaire de Julie Delpy, le réalisateur de La passion Béatrice (1987) insuffle de la vie dans plusieurs plans. Ils ne sont pas cadrés, ils ne sont même pas sujets, mais le commun peuple est là, les pêcheurs de rivière, l’écuyer ramassant le fourreau jeté par son seigneur, les servantes affairées dans la basse-cour à déplumer la volaille… Au-dessus, le film se vêt surtout de capes en velours et de robes ornées. La noblesse s’y représente dans toutes ses occupations : les échecs, la chasse, la guerre, l’astrologie et l’art de paraître. Ainsi, la reconstitution, sans souffrir de sa soumission à la pensée de Madame de Lafayette et au XVIIe siècle, est soignée et réactualisée (la mise en scène profite des avis de Didier Le Fur, spécialiste de la Renaissance).
La princesse de Montpensier développe des affinités avec la fureur lointaine de La reine Margot (Chéreau, 1994) et, pour la langue et les sentiments, avec la préciosité d’Orgueil et préjugés (Wright, 2005). Sûrement accompagné (les dialogues de Jean Cosmos, la musique de Philippe Sarde…), Tavernier s’approprie d’une belle manière la courte nouvelle originale.
La séquence liminaire du film s’achève par la scène où Chabannes transperce le ventre d’une femme enceinte pour se défendre: l’image est symbolique, cette femme représente la France déchirée par ses propres enfants; un poète guerrier et protestant avait déjà conçu cette allégorie au XVIe s.: Agrippa d’Aubigné, auteur des Tragiques.
Le film cherche ainsi à distiller certains symboles, mais nombre d’entre eux sont assénés assez lourdement. Et dans toutes les autres dimensions de la Princesse de Montpensier, la même remarque serait à faire. Les juvéniles acteurs sont pour certains convaincants (le duc d’Anjou est un personnage assez original), pour d’autres un peu justes (je trouve Mélanie Thierry un peu trop mutine pour représenter un personnage de Mme de La Fayette, qui doit être consumé par le combat entre passion et vertu) ; les scènes de combat devant nos beaux châteaux sont agréables, mais certaines bottes des bretteurs font un peu ninja-gaiden. Ce sont ainsi de petites fautes de goût dans ce film très ambitieux qui m’ont empêché de ne plus voir seulement des acteurs en costume et des décors et de vivre le drame de la princesse.
Une autre façon d’exprimer mon sentiment mitigé serait de dire que Tavernier s’est beaucoup appliqué dans ce film, notamment en recourant à des assistants qualifiés, mais que le résultat paraît un peu scolaire: aucune des consignes pour concevoir un film historique n’a été oubliée, mais le résultat a le manque de saveur d’un exercice, ses éléments ne se lient pas pour faire une création.