Nadav Lapid, 2011 (Israël)
OTAGES DU RÉEL
Policeman a pour héros le membre d’une unité antiterroriste israélienne confronté à un groupe de jeunes radicaux preneurs d’otages. En dépit de leur antagonisme social, les protagonistes, frappant par leur similaires violence et naïveté, resteront cantonnés aux rôles que leur attribue un réel sans rémission.
« Policiers, nous ne sommes pas vos ennemis et vous n’êtes pas les nôtres !». La jeune blonde hurle dans son mégaphone, arme à la main. Tenant ses otages en joue, elle tente de négocier avec la police. Dans Ha-shooter (Policeman, en hébreu), chacun est l’otage d’un autre, de son rôle, de ses paroles. Otages d’un groupe de jeune radicaux, un couple de jeunes mariés. Otages de la police, les kidnappeurs encerclés. Otages des mouvements de révolte, la police dépassée. Otage aussi, le policeman : de son statut, de sa paternité. Otage de lui-même, le peuple israélien ? Le réalisateur aussi, otage de la censure, a dû dépasser l’interdiction de son film aux moins de 18 ans. Et vivre avec.
DES HÉROS IMPUISSANTS
Suivant un policier, figure héroïque en Israël, le film trace l’itinéraire d’un héros constamment confronté à son propre devoir, certes, mais aussi d’un homme affrontant son quotidien civil. Le policier, otage de son statut, est sur le point d’intervenir sur le cours de l’histoire ; l’homme, lui, est déjà otage d’un enfant à naître. Même l’intrigue qui monte en pression ne déridera pas l’acteur principal, Yiftach Klein (Yaron), impassible. Plus qu’un policier, il incarne l’Israélien type. Un Israélien viril, baigné de violence, combattant malgré lui.
Lapid filme une guerre au milieu de la guerre, qui devient ici prise d’otage universelle. Prise d’ otage des forces de l’ordre, des opposants, des civils, des esprits. Les unités d’élite arment leurs mitraillettes, barrant d’une croix la photo de chacun des terroristes à maîtriser ; les kidnappeurs s’embourbent, doutent, mais abattent sans scrupule au nom de leurs convictions.
UNE TEMPÊTE DE DRAMES
Une tension pèse sur l’ensemble du film. Une menace qui s’étend à travers l’engrenage infernal dans lequel sont enrôlés les personnages. L’enfer terroriste et policier investit un mariage, à l’approche d’une naissance, tel un orage qui s’abat sur ces paysages céruléens.
Yaron, témoin de l’histoire, traverse cette tempête encerclé par des frontières invisibles. Perpétuellement aux pieds de murs franchissables mais censeurs ; ce qui n’est pas sans évoquer la barrière de séparation israélo-palestinienne isolant les civils. Le policier et ses adversaires se débattent, étouffent. Les dialogues sont rares, le contexte suffit au sens : ce mutisme du héros, témoin de ses conflits internes, accentue le suspens et rappelle l’acceptation sous-jacente du peuple israélien avant le soulèvement de la « révolutions des tentes » à Tel Aviv, en septembre 2011.
OTAGE DU RÉALISME ?
Policeman frappe par son réalisme dès la première scène. Lapid a choisi un cadrage frontal, presque brutal, qui appuie l’argument du film, une lumière crue et insolite, alors que d’habitude filtrée, souvent enjolivée par le cinéma israélien. Lapid assume aussi sa lumière crue sur les paysages. C’est elle l’héroïne qui offre au film tout son crédit. Dans cette tragédie grecque, Nadav Lapid impose toutefois la pudeur : évitant le piège narratif facile de la scène de tuerie hollywoodienne, un écran noir masque ce qui aurait pu être du voyeurisme. Y aurait-il des limites à un cinéma qui est présenté par son auteur comme réaliste ? Déjà, les terroristes, aux physiques de mannequins font vaciller la crédibilité du scénario.
Quelqu’un sort-il grandi de cette prise d’otage à grande échelle ? La scène finale, tuerie générale dont les seuls survivants et vainqueurs sont les personnages les plus forts, laisse un arrière goût de pessimisme… On en sort avec le sentiment d’avoir été soi-même otage d’un réel sans issue.
Cyrielle Gendron, pour la 33e édition du Festival des 3 Continents