The place beyond the pines

Derek Cianfrance, 2012 (États-Unis)

 

Selon l’étymologie Mohawk, Schenectady, dans l’État de New York, est littéralement la ville « par-delà les pins ». Un lieu où se rendront les personnages chacun à leur tour à trois occasions durant le film. Un lieu où les destins se lient et se délient. Un lieu qu’il sera probablement nécessaire de quitter.

Dans un premier temps, c’est Luke (Ryan Gosling) qui décide de s’y installer après avoir brusquement découvert qu’il était le père d’un bébé d’à peine un an. Ses motivations ne sont alors pas différentes de celles de Dean interprété par le même acteur dans Blue Valentine, le précédent film de Cianfrance (2010) : pourvoir aux besoins de sa famille parce que ce qui le rattache aux siens est plus fort que tout. Et cela, même si sa femme (Eva Mendes) refait sa vie avec un autre, même s’il n’a pas d’autre issue que de verser dans la criminalité. Cette première partie du film répète alors sur une trame très simple (la vie minable d’une brute sincère qui précipite sa mort) quelques-uns des motifs de Drive de Refn (2011) : un cascadeur prêt à tout pour aider une femme et son fils, moteurs, vitesse et fusillade. Mais où Gosling incarnait une sorte de chevalier sombre, un monstre derrière le masque (Drive), avec ses tatouages et une chaise électrique sur le t-shirt, le motard qu’il interprète dans le film de Cianfrance, tout aussi violent, est moins secret et moins complexe.

Le scénariste et réalisateur casse ensuite son récit et s’intéresse au policier, élevé au rang de héros de la petite ville après avoir descendu le motard braqueur de banques. Avery Cross (Bradley Cooper) n’est pourtant pas dupe de son nouveau statut et, lui-même tout jeune père, il est hanté par l’idée d’avoir ruiné la vie d’une famille. Son coup de feu paniqué, le coup de tonnerre annoncé à Luke quelques scènes plus tôt (« If you ride like lightning, you’re gonna crash like thunder »), le conduit à l’orée de la forêt de pins. Pour lui, ce n’est pas qu’un sous-bois en bordure de ville, mais un véritable gouffre d’angoisse et de peur : immédiatement, la peur de se faire éliminer par un flic corrompu (le très inquiétant Ray Liotta), introspectivement, celle d’avoir tué un père et de ne pas s’en remettre.

Dans les deuxième et troisième parties, la trame simple du début développé autour de Luke tisse d’autres liens, avec une autre famille et avec des enfants qui sont comme marqués génétiquement par l’histoire personnelles de leurs pères. Car, avant de nous laisser croire à une possible évolution pour chacun, Cianfrance porte un regard quasi déterministe et donc fataliste sur la cellule familiale. Quinze ans plus tard, le fils de Luke, malgré sa mère et un foyer confortable, est un adolescent plutôt isolé, atone et drogué (Dane DeHaan vu dans The amazing Spider-Man 2, 2014, ou plus tôt dans Chronicle, 2012). Celui d’Avery (Emory Cohen), après une période de défiance à l’égard de son père, finit par jouer son rôle de fils de politicien, c’est-à-dire rangé et souriant. A présent Drive est derrière. La transmission et l’héritage mais aussi l’assujettissement au père nous ont écartés de Refn et rapprochés du cinéma plus perçant de James Gray (Little Odessa, 1994, La nuit nous appartient, 2007…). Derek Cianfrance nous a entraîné ailleurs, vers quelque chose de personnel et profond.

Avant l’épilogue, retour au cœur de la forêt de Schenectady. Jason, le fils de Luke règle enfin ses comptes et ceux de son paternel avec Avery : l’adolescent un flingue à la main, hargneux et décidé, l’ancien flic à genoux, responsable d’une absence qui les a rongés à tous deux. Par-delà les pins, c’est une frontière à franchir, à la lisière de la ville et des relations qu’elle permet, une ligne qu’il faut dépasser pour espérer poursuivre et transmettre.

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