Gregory Lacava, 1937 (États-Unis)
Pension d’artistes est une belle comédie où l’humour s’affirme comme le plus sûr moyen de se protéger des difficultés d’un quotidien parfois mauvais. Le film démarre rapidement et les dialogues vifs et enchaînés, sans grande action ni beaucoup de changements de décors, l’entraînent dans un rythme soutenu.
Cité comme le meilleur de Gregory Lacava (Serge Bromberg dans l’édition dvd Montparnasse, 2003), le film est l’adaptation d’une pièce à succès d’Edna Ferber et George S. Kaufman. Plus de 150 représentations furent données de Stage Door à New York entre octobre 1936 et mars 1937. Le film est sorti en octobre la même année aux États-Unis. À l’écriture, les répliques cinglantes et l’humour noir viendraient plutôt de Kaufman. Tandis que Ferber aurait davantage été responsable de la profondeur apportée aux situations, des changements de ton et probablement des passages les plus émouvants de l’histoire (J. E. Smyth, Edna Ferber’s Hollywood, American fictions of gender, race and history, Austin, 2010). Il semble en fait que le rôle d’Edna Ferber ait été dévalorisé alors que plusieurs de ses textes, romans ou pièces de théâtre, ont rencontré le succès et ont connu des adaptations au cinéma (Show Boat dès 1929, ou Giant en 1956). Aux côtés de Kaufman, la dramaturge n’avait plus tout à fait le statut d’auteur, mais était présentée comme une simple partenaire. De même, à Broadway, son nom n’apparaissait pas toujours sur les affiches (J. E. Smyth Edna Ferber’s Hollywood…). L’influence d’Edna Ferber en tant qu’écrivaine, ses prises de position féministes ou à l’égard des populations noires ont dû déranger. Ensemble, Ferber et Kaufman signèrent pourtant The Royal Family, Dinner at Eight et Stage Door, adapté par trois studios différents : The royal family of Broadway pour la Paramount et réalisé par George Cukor, en 1930, Les invités de huit heures pour la MGM et par Cukor à nouveau, en 1933, Pension d’artistes pour la RKO.
Dans l’adaptation de Gregory Lacava, les dialogues fusent, nous l’avons dit, et surprennent. Les piques assassines entre les résidentes de la pension d’artistes rappellent que toutes ces jeunes filles, qui aspirent à devenir comédiennes, sont en concurrence directe les unes les autres pour décrocher un rôle. Mais vivant sous un même toit et avec des conditions de vie très comparables, marquées par la précarité, elles forment aussi une communauté qui n’ignore pas la solidarité. Entre elles, elles se soutiennent et des scènes, des gestes touchent par leur tendresse et la bienveillance discrète dont ils témoignent.
Ce casting féminin est dominé par Ginger Rogers et Katharine Hepburn à qui l’on a confié les rôles principaux et l’on s’étonne finalement assez peu de cette rencontre. Les deux femmes ont souvent incarné des personnages résolus, indépendants ou cherchant à l’être, portant le pantalon à une époque où peu de femmes osaient encore le porter. Même si cela a été moins remarqué pour Rogers, dans plusieurs de leurs films, les deux actrices ont joué des femmes qui, lorsque cela s’avérait nécessaire, savaient remettre à leur place ces Messieurs, qu’ils fussent gentlemen ou non. À leurs côtés, on remarque d’autres actrices : Andrea Leeds qui traverse le film comme une ombre, Lucille Ball et Ann Miller tout aussi querelleuses que leurs camarades de pension (Ann Miller avait 14 ans dans le film mais cela ne l’empêche pas d’interpréter le rôle d’une jeune adulte et, en effet, elle paraît aussi âgée que Ginger de dix ans son aînée).
Face à ces femmes sans emploi, le récit fait place à une figure de producteur prédateur. L’homme est charmant et distingué. Il a les traits d’Adolphe Menjou (un acteur qui a joué pendant plus de cinquante ans dans quantité de films ; dans Ô toi ma charmante de Seiter, 1942, ou Les sentiers de la gloire de Kubrick, 1957 pour en citer deux). Lubrique et intéressé, ce Powell a le carnet d’adresses assez rempli pour substituer, en cas de déception, une proie à une autre. Sa position lui assure des facilités, par exemple celle de pointer du doigt une fille et de l’entraîner sans tarder dans ses appartements. Dans ces scènes, Franklin Pangborn en drôlatique majordome apporte un comique de situation qui s’efforce de tenir à l’écart ce que la démarche de ce loup de producteur peut avoir de sinistre. Méprisant une des comédiennes de la pension et lui préférant une séance de cirage de chaussures, Powell tombe toutefois sur Katharine Hepburn qui fait irruption dans son bureau et lui fait tous les reproches que sa liberté lui permet.
La pension de comédiennes ressemble à des coulisses où, malgré l’animation des lieux et l’humour de toutes, parfois la triste réalité fait surface. Passée la porte, c’est « l’autre côté », le monde des sorties (parfois contraintes quand il s’agit de prendre le bras d’un homme pour avoir la possibilité de manger), le monde du spectacle, ainsi que de la grande bourgeoisie new-yorkaise, dangereuse à l’égard des plus fragiles. Je ne sais pas si c’est le meilleur film de Gregory Lacava, mais subtil et plein de charme, c’est assurément un excellent film.
J’en ai encore un souvenir vivace, telle la rencontre de Ginger et Katharine lorsque les nombreuses valises de cette dernière sont déposées, une à une, sur le plancher de leur chambre commune ; ou encore la scène mémorable de Katherine dans l’appartement du producteur.
Une comédie légère, divertissante, mais qui n’oublie pas, comme tu l’as souligné, les conditions des femmes artistes (ou désirant y être) à cette époque.
Ah oui! Merci pour l’info concernant l’âge de Ann Miller. jamis je n’aurai cru qu’elle n’avait que 14 ans dans ce film 😉