Article paru, version papier, dansZoom Arrière, ZA#4, automne 2020.
5 commentaires à propos de “La Passion de Jeanne d’Arc”
Je n’ai jamais eu l’occasion de voir ce film et je le regrette car il y a plusieurs films de Dreyer que j’aime beaucoup (Vampyr, Jour de colère). J’apprécie également la version de Bresson (il n’y a pas de faute de frappe dans le nom du réalisateur). Et, en plus, si ça fait penser par instants aux Nibelungen…
En tout cas, l’histoire mouvementée des chefs-d’œuvre de la fin du muet est toujours intéressante. On retrouve parfois des films dans les asiles (c’est aussi le cas de La Terre qui flambe de Murnau) et je suppose que cela doit faire, quelque part, sens, ces films devant diffuser leur part d’étrangeté.
Je ne partage pas l’enthousiasme général à propos de ce film, qui est une exagération dramatique et manichéenne du procès de Jeanne la Pucelle.
Jeanne d’Arc n’est pas le nom de cette dernière, n’en déplaise à ceux qui le croient et le répètent à satiété, et si cela est passé à la postérité, par convention ou par commodité, c’est une erreur qui montre combien l’identité de cette fille est au fond peu respectée. Elle le dit et le répète : « j’ai nom Jehanne la Pucelle » ; c’est son père qui s’appelle Jacques d’Arc, et ce n’est pas un nom de famille, mais un nom de lieu, car l’homme est peut-être né à Arc-en-Barrois ou dans les environs.
Le procès ne fut certes pas un simple échange entre Jeanne et ses accusateurs, et ne pensons pas qu’elle s’en tira à son avantage dans ces joutes verbales comme le veut la tradition ou l’imagerie d’Épinal. Certes, elle sut répliquer et eut des réponses qui n’admettaient parfois pas de réplique de la part de ceux qui l’interrogeaient, mais elle comparaissait devant des juges qui voulaient absolument la condamner et qui juraient effectivement sa perte. Son appel au Pape ne fut pas suivi d’effet, le tribunal estimant avoir tout le droit pour lui en raison de la présence d’un Inquisiteur dans ses rangs.
Certes, le film rend bien cette note de terreur que dut faire régner l’accusation, et la peur dans laquelle on maintint Jeanne jusqu’au bout, y compris en lui laissant de faux espoirs au moment de son abjuration au cimetière de Saint-Ouen à Rouen, car elle demanda que si elle reniait ses voix et les reconnaissait comme non inspirées par le ciel, elle pût être placée en prison de femme et pût revêtir à nouveau des habits de femme. Ce bref répit fut trompeur, car on la rendit à la soldatesque anglaise et elle dut reprendre ses habits d’homme pour protéger sa virginité contre les tentatives masculines. On ne sait d’ailleurs comment elle parvint à remettre ces vêtements d’homme, car elle était normalement entravée aux pieds, à moins qu’on ne l’eût contrainte à cela pour plus facilement la déclarer relapse et l’envoyer plus rapidement au bûcher.
Le film de Dreyer est certes plein de personnages qui font peur, mais il n’est nul besoin d’en rajouter, car Jeanne dut certainement trouver chez ses juges une humanité ordinaire, et même si ces derniers n’étaient pas animés de bonnes intentions à son égard, ils n’en étaient pas pour autant des monstres. Donc, le film de Dreyer est bien une composition dramatique et certainement pas un film qui nous renseigne utilement sur le procès. Il ne nous apprend pas grand chose et cela lui enlève pour moi beaucoup de la valeur ajoutée qu’on s’obstine à lui donner.
Bien sûr, c’est d’une forme de Passion qu’il est question et c’était le propos du cinéaste, et en cela on retrouve bien quelque chose de ce qui anime les films sur la Passion de Jésus, le parallèle est évident. Tout l’intérêt du film réside peut-être là. C’était le travers des films muets de tout concentrer sur l’expression des visages dans telle ou telle situation en forçant souvent la noirceur des traits. Le Napoléon d’Abel Gance en fut lui aussi marqué.
François Sarindar
Que dites-vous de cet équilibre instable entre réalité et mystique ? Que dites-vous de cet enfer dessiné par les plans et les décors et habité par les religieux ?
Cette fois, c’est de mise en scène qu’il est surtout question et c’est elle, davantage que la pseudo-reconstitution historique, qui rend ce film au moins surprenant, à mes yeux éblouissant.
Oui, dans le cas de Jeanne, la première des questions que vous soulevez, est la question centrale qui se pose aux personnes qui s’intéressent au procès de condamnation. Car c’est bien ce réalisme froid qui prétendit condamner un être habité par ses convictions.
Ici, je vous rejoins entièrement.
Je n’ai jamais eu l’occasion de voir ce film et je le regrette car il y a plusieurs films de Dreyer que j’aime beaucoup (Vampyr, Jour de colère). J’apprécie également la version de Bresson (il n’y a pas de faute de frappe dans le nom du réalisateur). Et, en plus, si ça fait penser par instants aux Nibelungen…
En tout cas, l’histoire mouvementée des chefs-d’œuvre de la fin du muet est toujours intéressante. On retrouve parfois des films dans les asiles (c’est aussi le cas de La Terre qui flambe de Murnau) et je suppose que cela doit faire, quelque part, sens, ces films devant diffuser leur part d’étrangeté.
Bonsoir, j’ai eu l’occasion de voir ce film une fois sur grand écran: je n’oublierai pas le visage de Jeanne (Falconetti) sur le bûcher. Bonne soirée.
Je ne partage pas l’enthousiasme général à propos de ce film, qui est une exagération dramatique et manichéenne du procès de Jeanne la Pucelle.
Jeanne d’Arc n’est pas le nom de cette dernière, n’en déplaise à ceux qui le croient et le répètent à satiété, et si cela est passé à la postérité, par convention ou par commodité, c’est une erreur qui montre combien l’identité de cette fille est au fond peu respectée. Elle le dit et le répète : « j’ai nom Jehanne la Pucelle » ; c’est son père qui s’appelle Jacques d’Arc, et ce n’est pas un nom de famille, mais un nom de lieu, car l’homme est peut-être né à Arc-en-Barrois ou dans les environs.
Le procès ne fut certes pas un simple échange entre Jeanne et ses accusateurs, et ne pensons pas qu’elle s’en tira à son avantage dans ces joutes verbales comme le veut la tradition ou l’imagerie d’Épinal. Certes, elle sut répliquer et eut des réponses qui n’admettaient parfois pas de réplique de la part de ceux qui l’interrogeaient, mais elle comparaissait devant des juges qui voulaient absolument la condamner et qui juraient effectivement sa perte. Son appel au Pape ne fut pas suivi d’effet, le tribunal estimant avoir tout le droit pour lui en raison de la présence d’un Inquisiteur dans ses rangs.
Certes, le film rend bien cette note de terreur que dut faire régner l’accusation, et la peur dans laquelle on maintint Jeanne jusqu’au bout, y compris en lui laissant de faux espoirs au moment de son abjuration au cimetière de Saint-Ouen à Rouen, car elle demanda que si elle reniait ses voix et les reconnaissait comme non inspirées par le ciel, elle pût être placée en prison de femme et pût revêtir à nouveau des habits de femme. Ce bref répit fut trompeur, car on la rendit à la soldatesque anglaise et elle dut reprendre ses habits d’homme pour protéger sa virginité contre les tentatives masculines. On ne sait d’ailleurs comment elle parvint à remettre ces vêtements d’homme, car elle était normalement entravée aux pieds, à moins qu’on ne l’eût contrainte à cela pour plus facilement la déclarer relapse et l’envoyer plus rapidement au bûcher.
Le film de Dreyer est certes plein de personnages qui font peur, mais il n’est nul besoin d’en rajouter, car Jeanne dut certainement trouver chez ses juges une humanité ordinaire, et même si ces derniers n’étaient pas animés de bonnes intentions à son égard, ils n’en étaient pas pour autant des monstres. Donc, le film de Dreyer est bien une composition dramatique et certainement pas un film qui nous renseigne utilement sur le procès. Il ne nous apprend pas grand chose et cela lui enlève pour moi beaucoup de la valeur ajoutée qu’on s’obstine à lui donner.
Bien sûr, c’est d’une forme de Passion qu’il est question et c’était le propos du cinéaste, et en cela on retrouve bien quelque chose de ce qui anime les films sur la Passion de Jésus, le parallèle est évident. Tout l’intérêt du film réside peut-être là. C’était le travers des films muets de tout concentrer sur l’expression des visages dans telle ou telle situation en forçant souvent la noirceur des traits. Le Napoléon d’Abel Gance en fut lui aussi marqué.
François Sarindar
Que dites-vous de cet équilibre instable entre réalité et mystique ? Que dites-vous de cet enfer dessiné par les plans et les décors et habité par les religieux ?
Cette fois, c’est de mise en scène qu’il est surtout question et c’est elle, davantage que la pseudo-reconstitution historique, qui rend ce film au moins surprenant, à mes yeux éblouissant.
Oui, dans le cas de Jeanne, la première des questions que vous soulevez, est la question centrale qui se pose aux personnes qui s’intéressent au procès de condamnation. Car c’est bien ce réalisme froid qui prétendit condamner un être habité par ses convictions.
Ici, je vous rejoins entièrement.