Michel Hazanavicius, 2009 (France)
Comme au cours des aventures cairotes (OSS 117, Le Caire, nid d’espions, 2006), en amenant son espion à Rio de Janeiro, Michel Hazanavicius déploie un humour aux couleurs très variées qui amène les spectateurs à de francs sourires et même à rire à gorge déployée… Jeux de mots à la pelle, comique de gestes (les poses et les expressions de Jean Dujardin sont à mourir), comique de situation (la morale du bon père faite à des hippies qui finissent, d’une façon ou d’une autre, par le convaincre ; l’incongruité d’une soirée où tous portent un uniforme nazi sauf l’agent secret déguisé en Robin des Bois façon Errol Flynn…), comique de répétition (le flash-back du vertige en trapèze), la satire (celle d’une époque, de ses personnages, d’un genre cinématographique), Michel Hazanavicius manie tous ces outils avec finesse (joli cadrage lorsque OSS rencontre pour la première fois Dolorès, le contrechamp place derrière l’espion une sculpture aux formes généreuses qui trahirait presque les pensées du gentleman goujat si elles ne se lisaient déjà sur son visage) ou lourdeur (les moineaux sodomites, la course-poursuite des éclopés…). Les procédés sont maintes fois répétés comme celui fonctionnant par « ricochets » (énumération sans fin des noms de famille français lors d’un dialogue entre fonctionnaires, relais de l’information par téléphone illustré par un dédoublement de l’écran à chaque coup de fil). Ces pelotes humoristiques sont dévidées et, bien que les scènes n’aient pas toutes la même efficacité, l’hilarité de plusieurs passages est irrésistible.
Les tribulations d’Hubert Bonisseur de la Bath, agent du Bureau des services stratégiques, sont à nouveau un moyen pour le réalisateur de témoigner tout l’attachement qu’il a pour le cinéma, d’espionnage surtout, non plus des années 1950, ce qu’il faisait avec le premier épisode, mais plutôt cette fois-ci des années 1960. Des couleurs aux matières, la plastique constitue une des belles réussites du film. Les reconstitutions de bureaux (ceux des services secrets français en bois, presque l’intérieur d’une école d’avant guerre, qui contrastent fortement avec ceux de la CIA dont l’épure moderne est comparable à celle des décors de Play time de Tati, 1967) et de paysages (qui sont ceux de L’homme de Rio de Philippe de Broca, 1964) révèlent, jusqu’au grain de l’image, un notable et très cinéphilique souci de mise en scène. Caricature de James Bond, Rio ne répond plus fait allusion aux épisodes de la décennie Sean Connery, ainsi James Bond 007 contre Dr. No (Terence Young, 1962) ou On ne vit que deux fois (Lewis Gilbert, 1967), ce dernier en raison de ces allusions à la Chine, même si l’histoire se passe essentiellement à Kyushu (mais ne commençons pas à confondre les Chinois de Chine et les Chinois du Japon, voulez-vous ?). La dernière boutade faite autour du prénom Noël avant le baiser de fin est une copie amusée du plus récent Monde ne suffit pas (Michael Apted, 1999) où, avant que le générique ne défile, Denise Richards prénommée Christmas s’offrait à Pierce Brosnan.
Dans la séquence d’action précédant l’épilogue, au pied du Cristo redentor de Rio, Hazanavicius nous fait la surprise, en une tendre ironie, de mettre dans la bouche du terrible nazi Von Zimmel (Rüdiger Vogler) la tirade de Shylock (le riche usurier juif du Marchand de Venise de Shakespeare). Le monologue est écourté et revisité (le terme de juif n’apparaît pas [1]) et, dit par un sympathisant d’Hitler, oserions-nous plaisanter de l’arroseur arrosé… En outre, par le nazi et la reprise du célèvre monologue, le réalisateur cite de la plus habile des manières To be or not to be, le chef-d’œuvre de Lubitsch (1942). Dans cette même séquence, comment ne pas être séduit par la reproduction de Vertigo (1958), que nous voyions par interstices dans Le Caire, nid d’espions, mais qui s’affiche pleinement ici, à la fois par les motifs en spirale des escaliers dans la statue du Christ (mouvement esquissé par l’index moqueur du chef nazi), par la peur du vide d’Hubert-Jean Dujardin devenu Scottie-James Stewart et par la musique de Ludovic Bource tout en référence aux partitions que Bernard Herrmann composait pour Hitchcock. Non content de ces géniales citations, Hazanavicius prolonge le plaisir, transforme le Christ du Corcovado en un autre Mont Rushmore et trouve d’improbables remplaçants à Cary Grant et à Eva Marie Saint (La mort aux trousses, Hitchcock, 1959). Hubert tient par le bras Von Zimmel alors que celui-ci se jetait de la gigantesque statue brésilienne et, faisant le geste de le remonter, invite tout contre lui Dolorès (Louise Monot) pour l’embrasser. Sublime référence !
Au-delà de la comédie et de la cinéphilie, Rio ne répond plus prend une dimension politique et participe à la suite de nombreux autres films à la construction d’une mémoire collective portant sur une période trouble [2]. Candide, Hubert Bonisseur de la Bath découvre avec lenteur que, contrairement à ce que la Ve République gaulliste a laissé entendre, toute la France n’a pas été résistante durant l’Occupation (et notamment son chef Lesignac qu’incarne Pierre Bellemare). Le général de Gaulle valorisait les exploits et jetait le voile sur les lourdes erreurs et les noires défaillances. La Résistance « une et indivisible comme la France qu’elle défendait » [3] relève d’un mythe auquel le cinéma des années 1960 a fait écho (La grande vadrouille de Gérard Oury, 1966, L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville, 1969…) et que celui des années 1970 a remis en question (Le chagrin et la pitié, Marcel Ophuls, 1971, Section spéciale, Costa-Gavras, 1974, Lacombe Lucien, Louis Malle, 1974, Le dernier métro, François Truffaut, 1980…) [4].
Michel Hazanavicius réalise un film drôle, certes. L’humour en est peut-être le moteur principal. Cependant il propose également une restitution d’un passé par l’image plein d’amour pour le cinéma et son écriture cinématographique de l’Histoire, loin d’être prédominante, n’en est pas pour autant anecdotique.
[1] « Est-ce que je n’ai pas des mains comme vous ? Des yeux comme vous ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? ». Et l’original : « Est-ce qu’un juif n’a pas des yeux ? Est-ce qu’un juif n’a pas, comme un chrétien, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections, des passions ? N’est-il pas nourri de la même nourriture, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes, réchauffé et glacé par le même été et le même hiver ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, ne nous vengerons-nous pas ? Si nous sommes semblables à vous en tout le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela. »
[2] M. Ferro, Cinéma et Histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1993.
[3] Discours du général de Gaulle à Bruneval le 30 mars 1947.
[4] Michel Jacquet, Travelling sur les années noires : l’Occupation vue par le cinéma français depuis 1945, Paris, Alvik, 2004.
Peu de choses à ajouter à cette brillante critique ! J’avais déjà aimé le premier volet, très drôle lui aussi. Celui-ci est encore meilleur, je pense, avec son humour caustique s’attaquant aux préjugés et à l’ignorance humaine.
En effet je crois que tout a été dit et j’ai également bien apprécié ce second volet d’OSS117 et cet humour permanent! Dujardin et ses mimiques typiques est irrésistible, le rôle de Hubert Bonisseur de la Bath lui va comme un gant. De plus c’est le sosie de mon cousin (Loïc Calvo si tu lis ces lignes…), ou bien le contraire… Bon ça vous parle peut-être pas, mais pour ceux qui le connaissent c’est flagrant! Quoi, mon cousin a ce côté légèrement macho et beau gosse à la fois ?!
Et moi qui croyais être le seul à avoir trouvé la référence à To be or not to be et à la tirade de Felix Bressart !
De même bravo pour Errol Flynn (la ressemblance est en effet troublante) et Sueurs froides (je le sentais venir avant qu’il monte ce malaise vécu par James Stewart qui allait être revécu par Dujardin).
Très bonne critique!
Oui mais personne n’avait constaté la ressemblance avec mon cousin…
Personne n’a vu la copie quasi exacte du flasback du trapèze de Fun in Acapulco d’Elvis Presley ?
Bien vu, L’Idole d’Acapulco (Fun in Acapulco) de Richard Thorpe date de 1963. L’année et les bords de piscine sont aussi très raccord avec cet OSS-ci.