Claudine Bories et Patrice Chagnard, 2019 (France)
Au début du Grand Débat National, lors d’une de ses premières entrevues en janvier 2019, Emmanuel Macron s’était exprimé au sujet de la démocratie participative en disant notamment que si « toutes les expressions sont légitimes », « toutes les paroles ne se valent pas ». Il avait ajouté qu’il fallait se méfier de « cette horizontalité » dans laquelle il ne valait mieux ne pas « s’engouffrer » car, expliquait-il, sans légitimité il n’y a plus de hiérarchie ni de légitimité de paroles. Il concluait sur une volonté d’ « hygiène démocratique du statut de l’information ». Le président confrontait alors dans son allocution la démocratie participative à la « mésinformation » et aux fake news et se servait de ces dernières pour signaler à sa façon le « danger » de la démocratie participative… Les exemples pris pour parvenir à cette issue logique invoquaient les questions scientifiques, médicales ou environnementales, qui ne peuvent être discutées selon lui par des non spécialistes. A cet endroit, son argumentation a peut-être manqué de subtilité et même d’imagination, et sa confiance en la prise de parole citoyenne s’est brusquement révélée quasi nulle.
Lorsque la Présidente de la commission des lois constitutionnelles, Yaël Braun-Pivet, refuse d’accorder une entrevue à l’atelier de réflexion citoyenne que le documentaire de Claudine Bories et Patrice Chagnard prend pour sujet, le collectif de citoyens rédige à son tour un texte qui ressemble déjà à une réponse à la position du président de la République sur la démocratie participative et qui débute ainsi :
« Au lycée, au travail, à la maison, dans les prisons, dans la rue, partout nous avons une expertise de l’état de la société actuelle. Une expertise rare. Une expertise unique. Car partout où nous sommes, sur nos territoires, nous travaillons et nous évaluons l’impact de nos actions, pour que chaque jour nos enfants se réapproprient les mots, justice, égalité et solidarité ».
Nous le peuple témoigne de cette volonté d’un groupe de personnes issues de milieux différents, qui se sent exclu et qui n’est pas écouté, de participer à la « chose publique ». Ainsi, trois groupes, encadrés par l’association d’éducation populaire Les Lucioles du Doc, participent à des ateliers de réflexions. Ce sont des détenus à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, des femmes de Villeneuve-Saint-Georges et des lycéens de Sarcelles qui vont travailler par correspondance, discuter, rédiger, se corriger, se lire et se relire, durant plusieurs mois pour parvenir à un texte définitif à présenter à l’Assemblée Nationale. Ils sont investis, parfois passionnés et ont à cœur de présenter aux représentants politiques un constat qui concerne leurs modes et leurs lieux de vie, ainsi que de livrer leurs éventuelles propositions pour enfin concilier leur quotidien avec les valeurs de la République.
A l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet et Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, qui toutes deux se disaient honorées et émues de leur responsabilité, qui pouvaient parler du « désir de changement » porté par la réforme constitutionnelle, ou de la « confiance retrouvée du peuple » envers les politiques, renvoient d’une parole cinglante les propositions faites par le collectif citoyen. Le documentaire donne cet exemple d’un amendement lu par la député F.I. Danièle Obono et qui rappelle l’importance de l’école dans le débat citoyen. La ministre et la Présidente de la commission rejettent cette parole populaire pour des questions de forme et leur façon de faire, entre maladresse et mépris, n’a de bon qu’à attiser la colère de celles et ceux qui, en dépit de tous leurs efforts, ne parviennent toujours pas à se faire entendre. Un détenu était moqué pour utiliser l’expression des « braises de la colère »… Quand on voit une lettre brûlée à la fin du documentaire, on pense tout d’un coup à la violence dont on peut être vite capable dans la rue.
Le documentaire rend compte de réflexions et d’échanges qui se sont tenus entre janvier et juillet 2018. Depuis, le projet de réforme constitutionnelle voulue par le président de la République a été mis en pause à la suite de l’affaire Benalla. Depuis, de novembre 2018 jusqu’aux législatives de mai 2019 et même après, le mouvement des Gilets Jaunes a suscité d’autres questionnements. Le président Macron a réagi avec la mise en place du Grand Débat (janvier-mars 2019). Aujourd’hui (septembre 2019), le chantier de la réforme constitutionnelle pourrait être repris avec entre autres changements un référendum élargi aux questions de société, la possibilité de référendums d’initiative partagée, des élections législatives modifiées avec une dose de proportionnelle… mais sans savoir si le Grand Débat à contribué à le faire évoluer.
En voyant le film de Claudine Bories et Patrice Chagnard, il est difficile de croire que le président actuel rende la démocratie plus participative » (on repense pour le mandat précédent à L’Assemblée de Mariana Otero, 2017). Comme dans Les arrivants avec les migrants (2008) et Les règles du jeu avec les jeunes et le monde du travail (2014), Nous le peuple rend compte des difficultés de la société, pour ne pas dire son incapacité, à accueillir et intégrer des populations en difficulté. Claudine Bories et Patrice Chagnard mettent en évidence la marginalisation plus grande de toute une population et surtout ici une véritable crise de la démocratie. Au final, Fanta, Joffrey, Soumeya et les autres ne pouvaient rêvaient d’un plus grand mépris. Ils n’étaient déjà pas écoutés, mais même en acceptant le principe démocratique et en se le réappropriant, ils ont donné en quelques mois la preuve de leur invisibilité.
Il est sûrement pertinent de donner la parole aux « sans voix » à travers ce groupe de jeunes mais il y a un tel décalage et un tel gouffre entre le peuple et le pouvoir politique que cette entreprise est très naïve et finalement ne sert qu’à entretenir une frustration déjà bien installée.
J’ai bien aimé ce documentaire même s’il manquait un peu de mordant dans les doléances de ces jeunes.
C’était naïf mais on ne peut pas non plus leur reprocher d’y avoir cru. Cette initiative était née dans un contexte qui paraissait pourtant favorable à l’écoute de ces citoyens écartés. Malheureusement, la politique étant ce qu’elle est aujourd’hui, et les dirigeants à ce point méprisants (ce que l’on voit dans le documentaire) que les premières intentions ont vite laissé place à la désillusion.
Oui c’est vrai il y a beaucoup d’arrongance chez les dirigeants,mais je pensais tout simplement qu’il y a suffisamment de désillusions dans la vie pour ne pas donner à ces jeunes des raisons d’espérer avec des doléances si utopiques.
Mais comme on dit: l’essentiel est de participer.Ce documentaire aura peut-être une suite.