Midi Z, 2019 (Taïwan, Malaisie, Birmanie)
Sélectionné au festival de Cannes dans la section “un certain regard”, qui se veut plus audacieuse et moins grand public que la sélection officielle, Nina Wu est le cinquième long métrage du réalisateur taïwanais d’origine birmane Midi Z. Le film rompt avec le travail qu’il avait mené jusqu’à présent, en partie inspiré par son enfance au Myanmar et centré sur les thématiques liées à l’immigration, pour se consacrer sur le destin d’une jeune femme, Nina Wu donc, qui un jour décide de tout plaquer pour devenir actrice. Mais le changement de thème n’est pas le seul élément nouveau dans le cinéma de Midi Z, cette fois le réalisateur a eu les moyens de ses ambitions et Nina Wu bénéficie d’un budget confortable, contrairement à ses premiers films qui s’illustraient par leur sobriété technique et artistique (certains tournages étaient même clandestins à cause de la censure). Ce qu’il perd en authenticité, le réalisateur le gagne en maîtrise formelle, donnant naissance à un film esthétique et travaillé, profondément irrigué par une thématique féministe. Une touche originale et très personnelle, que l’on doit à la scénariste Wu Ke-xi, l’actrice qui incarne Nina Wu à l’écran.
S’inspirant partiellement de l’affaire Weinstein, le scénario de Nina Wu met en scène une jeune Taïwanaise, qui un jour décide de tout plaquer et de se rendre à Taipei pour devenir actrice. Mais le cinéma se refuse à la belle Nina, qui doit se contenter de rôles secondaires dans des courts métrages et de quelques publicités. Jusqu’au jour où son agent lui propose d’auditionner pour un film réalisé par un metteur en scène en vue ; une production qui lui permettrait si elle était retenue, de percer enfin le plafond de verre qui la maintient dans l’anonymat. Mais Nina hésite car le film contient des scènes de nu et de sexe, qu’elle ne se sent pas capable d’assumer. La jeune femme accepte finalement de passer l’audition et obtient le rôle. Après un tournage compliqué et éprouvant où la jeune actrice apprend à donner de sa personne pour incarner son rôle, le film s’annonce comme une réussite critique autant qu’artistique et Nina est promise à un avenir radieux. Mais lentement la réalité se fissure et cette jolie fable est progressivement démontée par Midi Z, qui montre à quel point l’envers du décor est autre, plus sombre, plus inquiétant.
A travers une narration éclatée en plusieurs temporalités (voire en plusieurs réalités), le réalisateur taïwanais explore le destin traumatique d’une jeune femme que l’on croit prête à tout pour gravir les marches de la célébrité, mais qui en réalité n’est que la victime d’un système qui use et abuse de la crédulité et des aspirations légitimes de jeunes femmes qui rêvent de percer dans le monde du cinéma. Loin des paillettes, Nina Wu montre leur parcours semé d’embûches et d’épreuves humiliantes, voire traumatisantes, auxquelles elles doivent faire face pour exercer leur métier et un jour, peut-être, devenir des actrices célèbres et reconnues. Progressivement, le voile se déchire, révélant une réalité que Nina avait construite de toutes pièces pour se protéger et surmonter ses traumatismes. Peu à peu la vérité se substitue à cette construction fantasmatique, le rêve de Nina se brise sur les terribles épreuves qu’elle a subies. L’échec, l’humiliation, l’exploitation de son corps, tout cela n’est rien finalement face à l’horreur d’une vérité indicible et que le réalisateur ne révèle qu’à la toute fin du film (une scène qui chronologiquement devrait plutôt se trouver au début du film). Cette habile construction narrative, magnifiée par une réalisation absolument somptueuse (hommage évident à Lynch) et un montage impressionnant de maîtrise, sert parfaitement le propos principal, de manière à la fois subtile et parfaitement claire. Si le spectateur se retrouve parfois perdu dans les méandres de la pensée de Nina, c’est parce qu’elle même est perdue face au parcours de sa vie. Ses rêves, ses pertes de connexion avec la réalité, ses visions ne sont rien d’autre que des bribes de réalité qui tentent par tous les moyens de remonter à la surface. Nina essaie de les réprimer, puis, épuisée par l’effort, terrassée par cette vérité qu’elle souhaitait ne plus jamais voir, elle finit par s’avouer vaincue et par définitivement déchirer le voile qu’elle avait pudiquement apposé sur ses souvenirs.