Martin Scorsese, 1977 (États-Unis)
New York, New York est la troisième collaboration entre Robert De Niro et Martin Scorsese et fait suite à Mean streets (1973) et Taxi driver (1976). Trois ans plus tard, Scorsese sort également Raging bull, toujours avec De Niro devenu à cette époque son acteur fétiche. Une période prolifique pour le réalisateur, mais aussi pour le jeune comédien qui enchaîne les grands rôles : en 1976 toujours, dans 1900 de Bernardo Bertolucci et dans Le dernier nabab d’Elia Kazan, jouant alors des personnages plus en retenue que l’exubérant saxophoniste Jimmy Doyle de New York, New York.
New York est une ville d’importance pour Martin Scorsese. Il y rencontre De Niro (dans le quartier de Little Italy) et y tourne la plupart de ses films : le documentaire Italianamerican en 1974, le court métrage Apprentissages inséré dans New York stories (1989 ; auquel Francis Ford Coppola et Woody Allen participent) et Gangs of New York (2003).
New York, New York se déroule en 1945 et démarre dans les rues en liesse : les États-Unis fêtent leur victoire sur le Japon. De Niro (Jimmy Doyle) se distingue de la foule par son accoutrement très décontracté : en chemise hawaïenne, il fait par ce vêtement (la folie derrière) déjà penser à Max Cady dans Les nerfs à vif (1991), voire même à Tony Montana, personnage de son comparse Al Pacino dans Scarface (Brian De Palma, 1983). De retour de la guerre, il rentre au Starlight Club, visiblement bien décidé à fricoter avec la gente féminine ! Il s’y emploie d’ailleurs avec plus ou moins de brio, passant de fille en fille (où plutôt de râteau en râteau…) avant de jeter son dévolu sur une certaine Francine Evans, militaire elle aussi démobilisée. Il n’a pas plus de succès mais insiste. Il semble faire une fixation. Bref, un gros lourdaud bien macho dont la pauvre Francine n’arrive pas à se débarrasser… Mais il a du baratin et un certain charme, et, le lendemain, alors qu’il la recroise dans un hall d’hôtel où il fait scandale (empruntant plusieurs pseudonymes pour éviter de régler sa note !), il parvient à l’entraîner à une audition qu’il passe en tant que saxophoniste. Une révélation pour Francine qui, lors de cette scène, lui apprend qu’elle est une très bonne chanteuse. Grâce à elle, il se fait engager dans le fameux orchestre de Frankie Harte dont il ne tarde pas à prendre la direction en pleine tournée. Malgré les tumultes du couple, l’orchestre rencontre un vif succès. Puis Francine tombe enceinte, mettant alors sa carrière un peu en suspend, au grand dam de Jimmy. Leurs disputes sont plus régulières et violentes et, à la naissance de l’enfant, le couple se sépare. Chacun de leur côté, ils poursuivent leur chemin : elle devient une star de la comédie musicale hollywoodienne tandis que lui ouvre un club de jazz à succès en plein Harlem.
New York New York a été tourné à une période où le « vieux Hollywood » était en train de mourir et représente un magnifique hommage aux comédies musicales de la fin des années 1940 et des années 1950 : les décors volontairement très visibles (les scènes en faux extérieurs) ou bien le clin d’œil aux « happy ends » (dans le film « Happy ending » dans lequel joue, pour la première fois à l’écran, Francine Evans). Scorsese s’est inspiré de différents modèles tels qu’ Une étoile est née (la version de 1954 signée George Cukor avec Judy Garland), Les pièges de la passion (Charles Vidor, 1955, avec Doris Day) et plus encore avec My dream is yours (Il y a de l’amour dans l’air en français, 1949, de Michael Curtiz et Friz Freleng, aussi avec Doris Day). Scorsese mélange également deux univers, celui plein d’artifices des comédies musicales très codifiées de ces années-là et les expérimentations documentaires du cinéma des années 1970 ; deux façons de faire avec lesquelles Martin Scorsese joue, pour finalement sortir un nouveau chef-d’œuvre, personnel, même si enfanté dans la douleur. Après le tournage assez chaotique du film, le réalisateur, en pleine dépression, abusant de drogues, est même au bord du suicide.
Au milieu des décors factices, des paillettes d’Hollywood et des airs connus de Broadway (la première partie du film est tournée sur un ton plus léger), un personnage détonne, à l’image de son apparition en chemise hawaïenne au début de l’histoire : celui de Jimmy Doyle, interprété magistralement par De Niro. Survolté, cyclothymique, passionné, colérique, violent… On comprend que la vie de couple avec lui ne doit pas être de tout repos et préfigure déjà son incarnation de Jake La Motta dans Raging bull (1980), où les scènes de ménages sont encore plus dures et violentes. Lorsqu’il est trop calme (par exemple, dans la scène où Francine signe son premier contrat discographique et semble lui demander sa permission), cela paraît suspect et l’on guette le moment où il va bondir. Une colère exacerbée qui semble masquer une émotion forte refoulée, une angoisse latente (lorsque son fils naît, il refuse d’aller le voir pour ne pas craquer, ce qu’il fait toutefois lorsqu’il fond en larmes dans les bras de son épouse). De Niro crève l’écran et donne à merveille l’illusion de jouer du saxophone : on connaît son légendaire et immense travail de préparation pour chacun de ses rôles ; allié à son talent, cela fait de lui un acteur vraiment unique.
New York, New York, c’est aussi bien sûr son thème musical devenu légendaire, une magnifique chanson dont on entend quelques notes lorsque, vers le milieu du film, triste et désabusé, Jimmy en écrit les premiers accords lors d’une nuit sans sommeil. Puis, plus tard, un petit bout, la fin du morceau qu’il interprète dans son club de jazz. Scorsese, très habilement, ne dévoile la chanson dans son intégralité qu’à la toute fin du film, lorsque la grande Liza Minnelli l’interprète.