Jeanne Balibar, 2019 (France)
Le portrait d’Emmanuel Macron n’échappe à personne, derrière la porte, coincé contre le placard. Et à la mairie de Montfermeil, dans ce même bureau : le buste de Lénine. Emmanuelle Joly (autre Emmanuelle, Béart pour Balibar) devient la responsable d’une utopie mise en chantier à l’échelle de sa ville.
Prise dans une folle mayonnaise où, plutôt qu’un P.R.U. décidé au cœur de la Z.U.S., la commune de Seine-Saint-Denis gribouille le brouillon d’une collectivité idéale qui voudrait intégrer tout le monde sans oublier personne, quitte à retrouver, Mathieu Amalric par monts et par vaux, les indésirables qui avaient été chassés par la précédente mairie. C’est ce qui plaît de suite dans le premier film de Jeanne Balibar, outre la fantaisie, ces visages pluriels et singuliers auxquels elle accorde son attention. Elle leur donne proprement un droit à l’image. Ces figurants, là et bien présents, dépassent un peu ce seul statut et contribuent à leur façon à l’humanité du film. Même les petits fautifs sont repêchés : Bulle Ogier devenue Delphine Souriceau projette, entre autres manœuvres souterraines, l’évasion de son ami arrêté lors d’un contrôle RATP…
Jeanne Balibar valorise donc les habitants et les invite même à une séance de relaxation (on inspire profondément…), durant le discours d’investiture de Madame la Maire. Au milieu de son texte, Emmanuelle Joly cite les Misérables et se met à chanter le Temps des cerises. Elle poursuit avec l’annonce des premières mesures et une déclaration sur sa croyance en la démocratie citoyenne (… on expire et on se détend). Une fois en place, la Joly-Béart lutte contre l’implantation d’ensemble avec bureaux et Balibar filme Montfermeil dans sa diversité de paysages, jusqu’à ses parcs et ses bois, jamais filmés par les médias. Un parfait complément en soi à la brutalité sèche et uniforme des Misérables de Ladj Ly, sorti presque en même temps dans les salles. Avec Béart et Amalric, Ramzy Bedia, Florence Loiret-Caille, Valérie Dréville… c’est dans une dysharmonie sans égal, au milieu des querelles de couples et des différents politiques, que les élus aboutissent malgré tout à un SCOT, ou à un SCOF, un schéma de cohérence filmique plutôt que territoriale ; une cohérence qui n’était pas d’emblée acquise et sur laquelle, vu les personnalités barrées aux commandes, il n’était pas évident de miser.
Mais attention. La politique ici envisagée n’est pas qu’une farce. La démocratie participative et l’intégration de tous à la communauté sont des préoccupations réelles, ce que montre l’ouverture des élus, pas si farfelus que ça, aux cultures plurielles des habitants. Ainsi, la « Montfermeil Intensive School of Languages » se fixe pour objectif l’apprentissage des 62 langues parlées à Montfermeil et Clichy… sauf l’anglais ; le calendrier est adapté aux tenues traditionnelles et prône la diversité vestimentaire, avec journée du kilt ou du kimono… Bref, Merveilles à Montfermeil c’est un joyeux foutoir où même si rien n’est achevé, même si toutes les ambitions ne sont pas atteintes, le film reste une source de jubilation, un film délirant et très sérieux, une Z.A.D. en soi.