Song Fang, 2012 (Chine)
Fang Song, la réalisatrice, travaille à Pékin et vient passer quelques jours chez ses parents. Chacun joue son propre rôle, dans cette création bien loin du documentaire. Discussions et moments de vie familiale en sont l’essence même.
Des murs blancs, une décoration épurée, une nappe passée, des contre-jours qui affadissent la scène. L’appartement parental constitue le décor principal et récurrent du film. Une banalité de lieu à pleurer qui fait écho à la litanie de scènes et de dialogues ternes. La plongée dans l’intimité effectuée par Fang Song, qui filme dans Memories look at me une visite à sa famille, opère très rapidement. Le huis clos est total : les personnages ne quittent le lieu qu’à de très rares exceptions. Si la répétition des plans assène un esprit convivial, celui du « retour aux sources » de l’héroïne, elle n’en donnera pour autant aucun repère chronologique. Malgré les fenêtres, la nuit n’est pas visible, l’heure du jour n’est pas identifiable. Le temps est comme suspendu : nous sommes peut-être confrontés à un agrégat d’instants de cette fameuse mémoire qui la regarde, comme l’indique le titre.
Le lit des parents, la table de la cuisine ou encore le couloir reviennent de manière monotone, confinant les personnages dans ces espaces d’échanges. L’ennui qui gagne le spectateur est-il voulu par Fang Song ? Est-ce un travail en réaction à un cinéma contemporain hyperactif ou une simple expression artistique dénonçant une vie de famille banalisée ?
LE COCON FAMILIAL
En effet, si elle se met en scène, Fang Song ne raconte pas pour autant son histoire, ni une histoire. Les scènes se succèdent, il faut les saisir et les vivre telles quelles. Filmés la plupart du temps de profil ou de dos, les protagonistes échappent à toute « starisation ». Jamais leur regard ne croise celui de la caméra. La lumière blanche du contre-jour présent dans chaque scène, plonge Fang et sa famille dans une douce noirceur.
Ils sont là pour discuter, se remémorer le passé. Oscillant entre larmes et éclats de rire, les conversations se suivent et se ressemblent. Le chuchotement régulier des voix, l’expression « je me rappelle », bercent le spectateur dans un flot nostalgique mais jamais dramatique. Les émotions exacerbées sont absentes de cette œuvre dans laquelle le temps est le personnage principal. Les héros, souvent impassibles, font penser à des figures inanimées : l’image semble se figer. La longueur de certains plans s’accorde avec l’éreintement des parents. Les corps sont épuisés, mais pas meurtris, émus mais jamais tristes. Le temps de l’histoire est celui de l’existence. Les dialogues, seuls acteurs du récit, sont retranscrits très sobrement, dans un sentiment d’hyper-réalité. Rien ne vient accélérer ou ralentir les dires, les souvenirs sont énoncés un à un.
LE SENS D’UNE VIE
Le spectateur en vient à appréhender le surgissement d’un événement pouvant bouleverser le calme et la sérénité apparents. Il cherche un but à l’arrivée de Fang chez ses parents. Les minutes défilent, peut-être n’y en a-t-il pas ? Elle est présente, mais en même temps en retrait. En apparence préoccupée, elle s’avère pensive, tout comme son entourage. Aux petits soins pour les siens, elle n’échappe pas, elle aussi, à de petites attentions. En ce sens, le corps joue un rôle important. Bien qu’épuisé, vieilli, les gestes du quotidien le raniment.
Toutes les générations se côtoient, de la grand-mère (la mère de Fang) à la petite-fille. Les relations familiales, sans animosité aucune, habitent le film. Chacun veille sur l’autre dans un esprit de bienveillance mais sans excès. Là encore les débordements affectifs n’ont pas leur place. Les émotions comme maîtrisées, procurent apaisement et sagesse.
Hélas, le rendez-vous avec l’événement n’aura pas lieu. Fang Song a-t-elle voulu exprimer ses aspirations, son impuissance, ou… ? Memories look at me, c’est l’histoire sans histoire. Peu d’émotions, une tranquillité globale encline à la joie mais souvent à la mélancolie, finalement c’est une ode à la vie. Mais pas une existence fantasmée, rêvée plus que vécue, c’est la vie et ses effets, tout simplement.
F3C, 34e édition