Rose Glass, 2024 (États-Unis, Royaume-Uni)
Lou passe son temps à nettoyer. Ça commence par les toilettes de la salle de muscu dont elle est l’employée à tout faire, ça se poursuit avec les flaques de sang de victimes qu’elle ne regrettera pas, ça se confirme tout à la fois avec les sombres affaires d’un père qui lui pèse (Ed Harris plus terrifiant que jamais). Dans ce rôle, Kristen Stewart est parfaite en prolo coincée dans un trou du Nouveau Mexique où les gens croisés n’ont d’autres divertissements que la salle de muscu, le club de tir et le restau local pour décompresser, accessoirement après avoir cogner sa femme. La vie de Lou bascule cependant quand, dans la salle de sport, Jackie fait son entrée. Une lumière dans les ténèbres, le crush instantané. Katy O’Brian (d’abord remarquée dans quelques séries pas faramineuses) donne chair, charme et muscles à Jackie et compose un personnage qui marque à chacune de ses apparitions. L’actrice est une révélation.
Armée de ses deux magnifiques actrices, Rose Glass réactualise le film noir en flinguant patriarcat et masculinité toxique à la façon d’un Tarantino. Elle fond le cinéma queer dans un néo-noir passionné qui explose en un bouquet de références aux années 1990. Ces deux filles qui versent dans la criminalité presque par hasard et se débarrassent de leurs problèmes dans la chaude campagne américaine sont d’abord les fières cousines de Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991). Love lies bleeding n’est certes pas un road movie comme le film de Ridley Scott, puisque les filles sont empêtrées dans leur patelin comme dans la fange, mais une fois dégagées de leurs embrouilles elles osent enfin le road trip dont on voit l’amorce en bout de film. Le coup de foudre suivi d’une aventure avec embrouilles et larges éclaboussures de sang trace également un lien direct avec True Romance écrit par Quentin Tarantino et réalisé par Tony Scott (1993). Puis, ce sont des détails qui sont partout disséminés. Par exemple, les masques des présidents aperçus furtivement (sur des enfants qui chahutent) sont empruntés aux gang des surfeurs de Point Break de Kathryn Bigelow (1991). Le spectateur piqué pourrait encore revivre par flashes Requiem for a dream (2000). Comme dans le film sur les quatre toxicos de Darren Aronofsky, les shoots d’anabolisants sont pris dans une mise en scène très découpée et enflés d’effets sonores délirants. Love Lies Bleeding prend appui sur ce réseau de références (je n’en cite qu’un échantillon, certainement bien d’autres m’échappent) et fait vibrer les souvenirs du spectateur qui a baigné dedans. Il provoque ainsi un peu plus ses émotions et, pour les références choisies les plus solides, inscrit ses héroïnes dans une sororité cinéphile tout en leur rappelant à qui elles sont redevables.
Après l’horreur dévote de Saint-Maud (2020), Rose Glass confirme aussi son intérêt pour le fantastique, comme élément discret dans cette seconde réalisation, mais déterminant pour la résolution du récit et là encore stimulant à l’image. Katy O’Brian au physique sculpté déjà impressionnant transforme à nouveau son corps à chaque piqûre. Les muscles se tendent, les veines deviennent saillantes, la carrure du personnage se développe au point que de nouvelles références surgissent soudain : L’Attaque de la femme de cinquante pieds si l’on voulait chercher dans la SF ancienne (Nathan Jura, 1958), mais finalement peu en adéquation avec le modernisme du film, ou Hulk et, dans ce cas, davantage la version d’Ang Lee (2003), qu’aucune autre (car les transformations n’ont jamais vraiment intéressé ensuite). La référence à Hulk (ou miss Hulk) s’impose surtout en raison des filtres verts qui viennent à concurrencer les couleurs d’autres néons. Par ailleurs, Love Lies Bleeding par ce double regard, à la fois queer et fantastique, restitue au corps ses différentes dimensions, le corps vu (admiré, désiré), dans l’effort (qui travaille, se transforme, sue), dans son anatomie reconsidérée (jusqu’aux hématomes, os brisés et sang répandu). Love Lies Bleeding montre ainsi la violence (celle faite aux femmes et celle avec laquelle ces dernières finissent par répondre) et ajoute une touche d’érotisme comme de body horror.
Enfin, au-delà de la visibilité conférée à un amour lesbien placé au centre du récit et appuyé d’un ensemble cohérent de références variées, Rose Glass fabrique des plans de toute beauté, osant transcender le kitch lors d’une course euphorique avec la géante et son amoureuse dans les nuages et les étoiles.