L’invasion des profanateurs de sépulture (Invasion of the Body Snatchers)

Don Siegel, 1956 (États-Unis)

« Un moment de sommeil, et la femme aimée s’était changée en ennemie farouche ». Y a-t-il pire réplique paranoïaque ? À cause d’une étrange et soudaine perte d’identité, les habitants de la paisible Santa Mira ne reconnaissent plus leurs proches. Les individus qui les entourent ressemblent en tout point à ceux qu’ils ont connus, mais quelque chose a changé. Ils sont tous les mêmes, ne pensent pas ni n’éprouvent plus de sentiments. C’est ainsi que la propagande aux États-Unis présente le soviétique et terrifie sa population à l’époque. La Guerre Froide a dix ans ou environ et le cinéma a ouvert une nouvelle ère fantastique dans laquelle le monstre, l’autre, l’alien devient le symbole du communiste et la terreur qu’il inspire la parabole de la société occidentale agressée. C’est La chose d’un autre monde en 1951 (Nyby et Hawks) ou La guerre des mondes en 1953 (Haskin). C’est vraisemblablement aussi L’invasion des profanateurs de sépulture en 1956, que Don Siegel adapte d’un roman publié en 1955, The Body Snatchers de Jack Finney.

Il faut d’emblée oublier cette mauvaise, quoique saisissante, traduction française du titre. Nul cimetière, nulle sépulture dans cette fiction. Les corps de chacun sont saisis durant le sommeil et possédés par l’ennemi extra-terrestre (des semences venues du ciel engendrant de mystérieuses cosses géantes capables de donner vie à des répliques humaines…). Le médecin qu’incarne Kevin McCarthy court en tous sens pour découvrir ce qui se passe dans sa petite ville de Californie. Il court ensuite en prenant Dana Wynter par le coude (ce que cela a du être pénible pour l’actrice) afin d’échapper à l’horreur indescriptible qui partout s’étend. Sa compagne à son tour possédée, il poursuit sa course seul pour alerter le monde et le sauver. Dans la version commandée par les studios du moins, car une première fin envisagée laissait le héros au milieu d’une autoroute découvrant un camion rempli de cosses expédiées pour coloniser le pays. Il lançait alors au spectateur face caméra cette phrase, « You’re next ! », qui, au cinéma en son temps, suffisait sûrement à vous méfier du voisin de siège, une fois la salle rallumée.

La série B est efficace dans le déroulé de l’intrigue et le rythme imposé. Il n’y a que très peu d’effets, si ce n’est quelques plans sur les cosses et les corps en train de se former dans une effervescence baveuse. Le reste est hors-champ. On n’entendra pas d’explications trop poussées non plus ; un certain mystère est préservé. La crainte d’une hystérie collective, remplacée par une attaque sourde de la société, provoque la fuite. Les plans rapprochés se multiplient au fur et à mesure que l’effroi se propage et, grâce à la mise en scène, marquent le spectateur. On regrettera seulement ces deux ou trois dernières minutes qui visent à rassurer sur la capacité des autorités à réagir. Pour un plus grand effet sur le public, il aurait mieux fallu terminer sur cette pointe de panique initialement prévue. Pour le reste, communisme ou pas (puisque des critiques contemporains ont douté que le film s’y rapporte ; mais dans le contexte des sorties cinématographiques de l’époque, comment croire à une autre interprétation ?), pour le reste donc, L’invasion des profanateurs reste une référence, ce que ne démentiront pas les réalisateurs qui par la suite en feront le remake.

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