Alfred Hitchcock, 1934 (Royaume-Uni)
La première version de L’homme qui en savait trop est une perle. Le film est assez court et marque les esprits de différentes manières. Tout d’abord, l’intrigue se concentre sur quelques scènes très distinctes : les vacances en Suisse, la confrontation avec la police de Londres, l’enquête conduisant chez un dentiste puis dans une église, le concert à l’Albert Hall et la fusillade finale. Hitchcock ne néglige rien et y multiplie les trouvailles visuelles.
Par exemple, ce fil de laine délibérément accroché par le mari Bob Lawrence (Leslie Banks) à la veste du cavalier qui emporte sa femme Jill (Edna Best) sur la piste de danse. Le spectateur s’amuse de la plaisanterie autant que le mari jaloux sanctionne sa femme (sans réelle méchanceté) puisque, de cette manière, plus le couple s’éloigne sur la piste emporté par la musique, plus l’ouvrage entrepris par Jill se détricote. Le film ressemble d’ailleurs un peu à ce fil de laine tiré, pluriel dans les intentions qu’il révèle et les sentiments qu’il réveille et, comme toujours chez Hitchcock, même si l’histoire reste très limpide, assez complexe dans son exposition. Ainsi, sans jamais se priver d’humour, L’homme qui en savait trop joint aux sentiments d’inquiétude et d’insécurité (ruelle sombre, enlèvement, assassinat) une part d’étrangeté (la secte du Tabernacle du soleil avec rite d’initiation et hypnose, un cabinet de dentiste devenu salle des tortures). Même le casting va dans ce sens car c’est le Maudit de Lang (1931), Peter Lorre, qui incarne le cerveau criminel Abbott (Hitchcock l’enrôle alors que l’acteur venait tout juste de fuir l’Allemagne, il tourne à nouveau avec lui dans Quatre de l’espionnage en 1936). Disséminés dans tout le récit, une somme de détails restent encore à l’esprit : la montre à carillon qui annonce Abbott, les cheveux gominés du tueur, le sourire carnassier monté en enseigne de dentiste, la broche de l’enfant remise par le tueur à la mère avant le concert…
Mais ce petit chef-d’œuvre marque aussi pour le rôle laissé à Edna Best. L’attitude de Jill, son personnage, très libre, désinvolte, étonne tant dans la première séquence. Elle participe à un concours de tir à la carabine, manque sa cible et rejoint les siens. Avant de comprendre qui est son mari, on remarque en premier lieu un ami français, Louis Bernard (Pierre Fresnay), qui lui donne du « my love » tandis qu’elle lui répond par « my darling ». Le tout se tient sous les yeux du mari impassible et de leur fille, Betty, d’ailleurs gentiment écartée par la mère (Nova Pilbeam qui avait alors 14 ans). Nous avons déjà évoqué la scène de danse qui suit et la mauvaise plaisanterie de Leslie Banks le mari. Bien sûr, à cette première séquence en Suisse répond la dernière, la fusillade finale à Londres. Hitchcock la met très subtilement en scène et valorise parfaitement car très sobrement la mère. Jill en effet sauve sa fille et se venge doublement, de son concours de tir manqué au début du film et du criminel (Frank Vosper) qui s’était servi de Betty pour tenter de fuir sur les toits. Adaptant une seconde fois l’histoire, dans la version américaine de L’homme qui en savait trop (1956), la femme est mise en avant différemment ; elle perd davantage son sang froid et y est plus… bruyante. L’impression qui s’en dégage est forcément différente. Et pour dire un mot supplémentaire du rôle tenu par la femme dans une histoire de couple (comme il y en a tant dans la filmographie d’Hitchcock), le titre lui-même nous rappelle que tout le tort dans cette histoire vient du mari (qui en a trop su) ; à Edna d’agir pour finalement sauver les siens.
« Je pense que vous trouverez que le véritable début de ma carrière fut L’homme qui en savait trop » a dit un jour Hitchcock (cité par McGilligan dans Hitchcock, une vie d’ombre et de lumière, 2011). Ce film vient après trois échecs commerciaux (Rich and strange, Numéro 17 et Waltzes from Vienna). Il remporte cependant un franc succès auprès du public ce qui lui permet de mieux préparer ses films suivants et notamment, dès l’année suivante, un autre film grandement apprécié par les critiques, Les 39 marches.
Très intéressant pour moi qui ne connais encore que le film de 1956. Merci pour cette relecture, Benjamin.
Merci de cet article. Avec Hitchcock, les idées de mise en scène sont toujours légion, un vrai plaisir pour les yeux comme pour le cerveau.
Je suis récemment sorti de L’inconnu du Nord-Express et c’est un autre petit chef-d’oeuvre ! Hitchcock donne une puissance à certaines images (soin du détail toujours, personnages placés stratégiquement dans le paysage, expressions…) qu’on ne trouve que rarement ailleurs. Un régal !
Il a fait tellement de grands films il faut dire. Encore aujourd’hui, il reste un de mes réalisateurs préférés. Et c’est aussi stimulant de voir ses films que d’écrire dessus.