Bastien Simon, 2019 (France)
CHANGEONS NOS VILLES *
20 000 m² de bâtis et 15 000 m² d’espaces extérieurs, 250 structures, 600 places d’hébergement, et plus de 3 ha de projets éphémères au cœur de Paris. Dans le 14e arrondissement, l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul est dans les années 2000 progressivement désaffecté. L’association Aurore, qui s’occupe de l’accueil et de l’hébergement de personnes en situation de précarité, investit le site devenu ZAC en accord avec la mairie. D’autres associations, Yes We Camp ou la coopérative Plateau urbain pour citer les deux autres coordinateurs, se joignent à Aurore et, au total, elles sont plus de 200 à intégrer le quartier et, avec ses résidents, à le faire vivre. Ainsi, deux années durant (2015-2017), les Grands Voisins s’est transformé en un véritable laboratoire d’expérimentations sociales et solidaires.
A travers le portrait de quelques résidents, le documentaire de Bastien Simon livre un témoignage enthousiaste de ce qu’a été les Grands Voisins. L’ensemble des bâtiments abandonnés (l’hôpital proprement dit, l’administration, la lingerie…) sont repensés en logements, boutiques, cantine, jardins et salle de concert. Enchâssée dans la capitale, la zone devient une sorte d’écoquartier à priorité sociale. Le lieu grandit en un carrefour de rencontres entre des travailleurs (artisans, entreprises, associations, artistes), les habitants eux-mêmes (personnes en réinsertion sociales ou professionnelles) et le public (visiteurs, auditeurs, curieux…). Parmi les résidents, on fait par exemple la connaissance de Maël, un artiste breton mauritanien qui cherche à obtenir la nationalité française et peut-être un jour faire venir sa femme et ses enfants restés en Afrique. Parallèlement à sa lutte contre la bête administrative, il peint et, quand il a sa fille au téléphone, il insiste pour lui faire réciter sa table de 5. Avec Adrien le luthier, le film évoque la formation d’un groupe de musique, KaceKode (là, le docu prend un peu l’allure d’un Benda Bilili parisien). Un migrant à la guitare, le dernier punk de Paris au chant, un batteur improvisé et d’autres qui pendant les répét’ vont et viennent : la formation est à l’image du site, composée d’individus très différents, souvent abîmés, mais capables de mener un projet avec d’autres et de fabriquer un « ensemble ».
La caméra emprunte les chemins aménagés et se déplace entre les structures dans des travellings souples et tranquilles. On se promène, on découvre. Le film nous convie encore à des festivités, un débat, une visite de cabane à poules, d’autres rencontres, un Noël, un autre bout de débat, un carnaval, des salades et en mai 2017 c’est Macron président, « Gérez bien, gérez bien, on verra les fourberies » ironise Kamel. Le village solidaire a fini par accueillir et faire transiter 2000 personnes par jour, alors forcément l’utopie attire les curieux d’en haut : visite de Hollande quand il était président et, plus tard, d’un cortège de la Macronie (Hulot, Édouard Philippe…). Les politiques viennent communiquer et les habitants des Grands Voisins n’en sont jamais dupes. Dans ces occasions-là, les Voisins ont aussi leurs messages à transmettre.
Enfin, le documentaire donne une idée de la solidarité à l’œuvre et de l’utopie en construction. Le quartier est un exemple réussi d’apprentissage de l’autonomie, défini par le partage des responsabilités, la transmission de compétences, par la mixité sociale et l’entraide. Les Grands Voisins c’est l’invention réussie d’un « modèle d’urbanisme transitoire ». Le problème ici, c’est « transitoire ». Les associations des Grands Voisins avaient signé pour deux ans. Les investisseurs et les promoteurs ont repris les travaux pour la réhabilitation des bâtiments. Les coordinateurs des Grands Voisins ont malgré tout obtenu un délais supplémentaire, une « saison 2 » (jusqu’en 2020), mais sur un espace réduit et ne permettant d’offrir qu’une centaine de places d’hébergements. Ensuite c’est la délocalisation, le relogement, l’éparpillement. Ironie du sort, la crise sanitaire du Covid-19, qui a empêché le film de gagner les salles le 1er avril 2020, conforte cette logique individualisante et destructrice. Malgré le « transitoire », le film coloré, rythmé, est optimiste. Les Grands Voisins est une réussite et devient donc un modèle possible, une source d’inspiration. Alors, comme le dit un des résidents : « maintenant, on attend la suite… avec le sourire ».
* Titre du Hors-série Politis et Basta, Changeons nos villes, L’atlas des alternatives communales, février-mars 2020.
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A une autre échelle, un autre exemple de bout d’utopie urbaine