Richard Thorpe, 1953 (États-Unis)
Après la mort d’Uter Pendragon, la « Bretagne » se cherche un roi. Grâce à Merlin, Arthur, fils caché d’Uter, trouve Excalibur, l’épée censée désigner l’héritier légitime au trône. Arthur retire sans peine la lame figée dans la roche et, une fois les grands du royaume convaincus, se proclame roi.
ENTRE LA BRETAGNE ET LA CALIFORNIE, DE MATIÈRES ÉPARSES
Situer la légende arthurienne dans le temps n’est pas une tâche aisée. Chrétien de Troyes, le clerc qui au XIIe siècle rédige les manuscrits qui inspirent l’essentiel du mythe littéraire d’Arthur, n’est pas le premier à composer des vers autour du héros breton. Précédant de peu le romancier de la cour des comtes de Champagne, Geoffroy de Monmouth et Wace regroupent déjà dans leurs écrits les sources éparses (Historia, Annales et traditions orales) qui mettent en scène celui que Julien Gracq désigne comme « le trésor des mythes du Moyen Age » [1]. Selon les historiens aujourd’hui, Arthur était un chef militaire du VIe siècle qui prit la tête des Bretons lors de la guerre qui les opposa aux Saxons. Du haut au bas Moyen Age, ainsi Arthur et les siens se baladent. Hollywood ne s’encombre ni vraiment du mythe (enchantement et magie n’y ont pas de place), ni de l’Histoire et, en prenant pour source principale un texte du XVe siècle, La mort d’Arthur de Thomas Malory, compose avec Les chevaliers de la table ronde un « concentré de Moyen Age » où un prince incarne pour la première fois en Grande-Bretagne un idéal de paix et d’unité.
DE NOBLES ANCÊTRES
George Duby décrit le système de valeur de la chevalerie et explique qu’il s’organise autour de trois vertus : la prouesse, la loyauté et la largesse [2]. Les (bons) chevaliers sont preux. Ils ne craignent pas le combat et n’hésitent pas à pourfendre l’ennemi (les peuples non soumis aux frontières du royaume ou les sournois chevaliers de la cour, Mordred et Agravaine). Ils sont loyaux. Lancelot (Robert Taylor), en dépit du bannissement qui le frappe, reste fidèle à son roi. Dans une bataille, Gauvain (Robert Urquhart) ne laisse pas choir l’étendard qui porte les couleurs d’Arthur et le relève à ses risques et périls. Ces vertus sont communicatives puisque les simples serfs, à condition qu’ils soient du côté du juste, prouvent à leur tour leur courage et leur fidélité. Un plan nous montre en effet un combattant à pied prendre aussitôt la place, dans la bataille, en première ligne qui plus est, d’un soldat tué. Enfin les chevaliers sont généreux et désintéressés. Perceval (Gabriel Woolf) est celui qui illustre le mieux ferveur et largesse, puisqu’il est prêt à renoncer à tout pour se lancer à la recherche du Graal. Plusieurs plans témoignent encore de la noblesse d’âme d’Arthur (Mel Ferrer) et de ses chevaliers. Au cours d’un duel qui l’oppose à Lancelot, le futur roi plante son épée dans un tronc. Lancelot, plein de courtoisie, pose alors la sienne et aide Arthur à dégager son arme. Puis vient le tour de Lancelot d’être en mauvaise posture car Arthur vient de le désarmer. Le chevalier se méfie (l’habitude de combattre de fieffés adversaires), mais Arthur ramasse l’épée tombée et la rend à son propriétaire afin que le combat se poursuive sans que l’honneur d’aucun n’en soit terni. Par ailleurs, comme il arrive souvent dans les films de cape et d’épée, la couleur des tuniques trahit les intentions de ceux qui les portent : les vêtures d’Arthur et de ses proches sont surtout dominées par les rouges et les jaunes alors que celles des comploteurs et des traîtres (Morgane, Mordred, Agravaine) sont froides (bleues, noires, grises). Apprécions ce jeu des contrastes jusque dans les divertissements des personnages : tandis que Mordred (Stanley Bakeret) et Morgane Le Fay (Anne Crawford) passent leur temps à lancer les dés (jeu de tavernes et de hasard), Lancelot et Elaine (Maureen Swanson) jouent aux échecs (jeu aristocratique, de stratégie et de réflexion). Ainsi, les héros de Grande-Bretagne sont de nobles ancêtres et ce même pour le cinéma américain.
DE QUÊTES ET D’AVENTURES
Sur les conseils de Merlin (Felix Aylmer), Arthur s’installe à Camelot et regroupe autour d’une table ronde, symbole d’égalité et de concorde, les seigneurs et les chevaliers qui le reconnaissent souverain (notons le détail cocasse du balcon à partir duquel les dames de la cour peuvent assister aux assemblées tenues autour de la table ; position qui ne dit rien d’une éventuelle supériorité puisque ces dames ne sont que spectatrices). Par ses efforts pour la pacification du royaume et par l’établissement d’une structure féodale solide basée sur la justice, la générosité et l’égalité, Arthur devient le symbole de l’unité recherchée entre les peuples de Grande-Bretagne. En outre, aussi vertueux soient les héros, leur route n’en est pas moins jalonnée d’écueils. En effet, Lancelot s’éprend de la reine Guenièvre (Ava Gardner) et donne là matière aux manigances du noir Mordred et de sa femme Morgane, sur quoi se base le scénario ainsi que la matière première littéraire. Cet amour dans un premier temps condamne Lancelot : il perd son souverain et ami, sa femme (Elaine) et son amante (Guenièvre). Ce sont pourtant ces erreurs qui l’entraînent sur la route de la coupe du Christ. L’objet sacré n’est dans le film qu’une quête de faible importance qui incombe à un personnage secondaire, avant d’être revalorisé en toute fin de récit. A genoux aux côtés de Perceval qui seul entend le message divin, plus rien ni personne n’empêchera Lancelot d’œuvrer pour sa rédemption et de protéger son fils annoncé comme un futur chevalier du Christ.
« LORS MET LE CHEVAL ES GALOS » [3]
Tournois ou véritables batailles, les combats sont un des atouts du film, même si les « effets spéciaux » nous prêtent aujourd’hui à sourire (l’angle de vue choisie par la caméra nous fait croire aux plastrons transpercés alors que les épées ne font que brasser de l’air à bonne distance du corps visé). Lorsque les armées s’entrechoquent, l’impression n’est pas aussi vive que lors des batailles de Stirling ou de Falkirk (Braveheart, Mel Gibson, 1994), que la bataille des Champs du Pelennor, (Le seigneur des anneaux : le retour du roi, Peter Jackson, 2003) ou que la prise de Jérusalem lors de la troisième croisade (Kingdom of Heaven, Ridley Scott, 2004), mais le moment reste marquant. Il est surtout précédé par le plus beau plan du film : un travelling latéral magnifique, efficace sur la durée puisqu’il suit la charge des chevaliers de Camelot, leurs montures lancées au trot puis au galop et fondant sur l’adversaire. En contrechamp, l’autre armée avance en même temps mais la caméra reste fixe, ce qui prive ainsi l’ennemi du souffle épique apportée à la charge précédente. Ailleurs, sur un étroit chemin coincé entre les montagnes, l’embuscade tendue par les Pictes dans laquelle Lancelot et son armée tombent est aussi un joli passage.
UN MOYEN AGE RECOMPOSÉ
Arthur aurait vécu au VIe siècle. Un de ses principaux ennemis est le peuple picte, installé en Ecosse depuis le Ier siècle avant Jésus-Christ, puis confondus avec les Scots vers le IXe siècle. Couverts de la tête au pied de fer et d’acier, les chevaliers portent des armures qui n’apparaissent pas avant le XIIe siècle. Les imposants châteaux de pierre ne sont pas des constructions antérieures aux XIIe et XIIIe siècles. Je passe sur la joute, les armes ou la mode vestimentaire… Il semble que les studios de cinéma américain aient rassemblé tout ce que l’imagerie populaire retient habituellement des mille années qui constituent le Moyen Age et l’aient concentré sur cette heure et demi de pellicules.
Les intentions de la MGM sont les mêmes que pour Invanhoé (1952) : émerveiller et viser le large public. L’équipe technique est identique à celle du précédent succès médiéval : le réalisateur (Richard Thorpe), le producteur (Pandro S. Berman), le chef décorateur (Alfred Junge), un des deux directeurs de la photo (Freddie Young), le compositeur (Miklós Rózsa). Les chevaliers de la table ronde est une œuvre qui continue d’éblouir.
[1] Laurence Mathey-Maille, article « Arthur », dans C. Gauvard, A. de Libera, M. Zink, (sous la dir.), Dictionnaire du Moyen Age, Paris, Quadrige, PUF, 2002, p. 92.
Julien Gracq a enrichi la légende d’un de ses textes, une pièce de théâtre qui fut très mal accueillie par la critique et qui poussa l’auteur a refusé toute adaptation de la pièce de son vivant. Julien Gracq, Le roi pêcheur, Paris, José Corti, 1948.
[2] Entre autres, George Duby, La société chevaleresque, Paris, Flammarion, 1988.
[3] Chrétien de Troyes, Lancelot ou Le Chevalier de la Charrette, vers 760.
Quelques liens pour les curieux de littérature médiévale :
– les pages consacrées à Chrétien de Troyes sur Arlima, Archives de littérature du Moyen Age.
– ses romans sur le site du Dictionnaire électronique de Chrétien de Troyes, par le Laboratoire de français ancien (LFA) de l’Université d’Ottawa, Canada, et le laboratoire Analyse et traitement informatique de la langue française (ATILF), Centre national de la recherche scientifique, 2006.
Sur le film, Emmanuel Denis met en ligne sur Devil Dead un article qui comporte d’éclairantes explications quant à l’utilisation du Cinémascope, relais du format 4/3 et exploité dans les années 1950 afin de garder dans les salles des spectateurs de plus en plus nombreux à s’équiper de poste de télévision.
Un Moyen Age de « fiction » ou un Moyen Age « fantastique » ? Le cinéma américain prétextant le fait que la légende arthurienne repose essentiellement sur un mythe qui ferait le lien entre les éléments épars d’une histoire dans laquelle se reconnaîtraient les Bretons et les « Grands-Bretons », et que la littérature qui l’évoque et qui revisite le sujet couvre plusieurs siècles jusqu’au XVème siècle avec Thomas Malory (1405-1471), le cinéma donc s’autorise de toutes ces libertés faciles à faire passer quand tout le monde s’entend,à travers le temps, pour faire appel à l’imaginaire, y compris l’iconographie médiévale qui exploite elle aussi le thème jusqu’au XVème siècle, ce qui permet justement au cinéma, d’un film à l’autre, de revêtir les Chevaliers de la Table Ronde d’armures qui empruntent indifféremment à ce qui se portait au XIème, au XIIème, au XIIIème, au XIVème et au XVème siècles. On pourrait ainsi rapprocher cette vieille version cinématographique du Lancelot interprété par Richard Gere.
De la littérature au cinéma, c’est Arthur, Lancelot, et quelques autres qui l’emportent de loin sur Roland de Ronceveaux, sur le Petit Jehan de Saintré d’Antoine de la Sale (jamais porté à l’écran). Seuls, peut-être, quelques adaptations du Don Quichotte de la Manche de Cervantès peuvent prétendre rivaliser avec cette vision idéale des preux chevaliers dans une forme d’adieu moqueur à ce que fut l’aventure chevaleresque.
François Sarindar
N’oublions pas non plus Perceval le Gallois (Chrétien de Troyes), autrement dénommé Parzival (par Wolfram von Eschenbach), ce qui, on s’en souvient inspira Wagner (et, pour nous amuser tous, le créateur du personnage d’Indiana Jones).
En contrepoint, dans la moquerie encore, précédant le Don Qiichotte de Cervantès, le personnage d’Amadis de Gaule, grosse farce sur le thème de la chevalerie écrite avec l’espoir d’en finir d’une certaine manière avec cette veine ; mais le but ne fut pas vraiment atteint, car nul ne pouvait alors songer que cette image du parfait chevalier resurgirait grâce au cinéma. Le thème semble donc toujours porteur.
Dans le Moyen Age réel, les efforts de l’Église catholique pour humaniser et christianiser les mœurs guerrières des chevaliers ont conduit, avec l’exploitation de cette image des Chevaliers de la Table Ronde unis autour du roi Arthur pour la défense des valeurs que la chevalerie était censée incarner, à la création d’Ordres de moines-soldats pendant les Croisades (Hospitaliers, Templiers, Teutoniques), durant la Reconquista espagnole (Alcantara, Calatrava, Montesa) et dans la conquête germanique en Prusse-Orientale (Porte-Glaives et Teutoniques), mais aussi durant les conflits franco-anglais de l’époque médiévale (ordres de la Jarretière, de l’Étoile, de Saint-Michel, de la Toison d’Or). Mais, somme toute, il y a loin du rêve et de l’idéal à la réalité.
François Sarindar
Cela ne m’est pas venu immédiatement, mais vous faites bien sûr allusion à La dernière croisade (1989), aventure dans laquelle, pour accéder au Graal, Indiana se doit de retrouver les valeurs chevaleresques qu’incarne évidemment Perceval.
Quant au médiéval fantastique (et fantasmé) par Hollywood, Boorman (re)donne le la en brandissant son Excalibur, sorti en 1981 (la même année que le premier épisode des aventures du célèbre archéologue).
Le passé, notamment médiéval, devient par la force des choses une fiction comme les autres, une reconstruction contemporaine basée sur des documents pour la plupart de seconde main, voire de troisième. Nul hasard ni trahison si Hollywood relit cette époque ou l’Antiquité avec le péplum : les œuvres évoquent principalement l’ici et maintenant, surtout politique, de leur réalisation. Le générique du film de Thorpe représente à lui seul une superbe ‘table ronde’ de talents d’origines diverses, tous réunis pour servir leur art. Notons que la morale chevaleresque, combinée dans ce cas avec l’esthétique du mélodrame chrétien, trouvera dans le cinéma de John Woo l’un de ses plus purs hérauts – dont je vous conseille bien sûr La dernière chevalerie (1979)…