Le procès Goldman

Cédric Kahn, 2023 (France)

Le personnage est fascinant, son histoire aussi. Cédric Kahn se concentre sur le deuxième procès de Pierre Goldman et le fait sans artifice, dans le huis-clos de la cour d’assises.

L’homme, demi-frère aîné de Jean-Jacques, a un parcours incroyable. Né de parents polonais et juifs, communistes et résistants, il est d’abord lui-même un étudiant engagé (il suit des études de philosophie à la Sorbonne). Il milite contre la guerre en Algérie, contre la guerre du Vietnam, participe activement à la « Conférence tricontinentale » à Cuba (1967), puis toujours à l’étranger pour échapper au service militaire (1968), il intègre un groupe de révolutionnaires au Venezuela. À partir de 1969, à son retour en France, Pierre Goldman est plus difficile à comprendre : brouille avec sa famille, brouille avec les politiques qu’il fréquentait et avec une partie de l’extrême-gauche, il s’endette et se livre finalement à trois braquages à main armée sans effusion de sang (arme déchargée selon ses dires). À son arrestation en 1970, on l’accuse des trois hold-ups et d’une quatrième attaque qui a dégénéré en causant deux morts. S’il reconnaît bien les trois premiers vols et d’autres encore, il niera toujours avoir participé au braquage de la pharmacie de la rue Richard-Lenoir et déclarera surtout n’avoir jamais tué personne.

Tenu en 1976, l’enjeu du second procès est important. Lors du premier procès, qui fut annulé pour vice de procédure, le juge condamnait Goldman à une peine de prison à perpétuité. La peine de mort n’a pas été abolie à cette époque et le procès est particulièrement suivi par les médias. Son livre autobiographique rédigé en prison a paru quelques mois auparavant (Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, éd. du Seuil). Au tribunal, ses soutiens sont nombreux, des étudiants et des amis qui depuis leurs bancs dans l’audience se font entendre dès qu’ils en ont la possibilité ; Simone Signoret et Régis Debray sont présents également durant tout le procès.

Sans musique ni lyrisme, en lumière naturelle, le film est sec. Seuls les arguments comptent et de la part de Goldman, qui prend la parole parfois pour seul se défendre, ils relèvent d’une belle intelligence et à l’occasion d’une raillerie mordante (ainsi ses explications quant à son refus de témoins de moralité ou ses affirmations concernant la police). Les échanges ne sont pas sans éclats, c’est même la stratégie de l’accusation de vouloir faire sortir l’inculpé de ses gonds (le « fasciste » lancé violemment au visage de maître Garaud interprété par Nicolas Briançon). Goldman est éloquent et ses lignes de dialogue claquent. Il est vif et dépasse rapidement ses trois avocats (voir les tensions avec son principal défenseur, maître Kiejman interprété par Arthur Hariri). Arieh Worthalter qui incarne Pierre Goldman impressionne et son charisme, sa verve, même sa silhouette ne sont pas sans faire penser à Philippe Torreton dans ses rôles de fin discoureur.

« J’espère ne pas être apparu devant vous comme démoniaque ou machiavélique, habile à tromper ou à dissimuler. Ou à avoir utilisé de manière intolérable le spectre d’une erreur judiciaire inspirée par le racisme. Pour le dire plus simplement, je ne voudrais pas qu’on dise de moi un jour que j’ai agi comme un Juif déclarant implicitement que ceux qui ne sont pas Juifs n’ont pas le droit de penser qu’un Juif est un tueur. Et s’ils le pensent, c’est qu’ils sont antisémites »

Sans même évoquer l’affaire de la pharmacie et les contradictions qu’elle soulève, malgré tout ce qui est dit, les détails donnés concernant sa vie et sa personnalité, Pierre Goldman garde une part de mystère. On comprend bien l’extrême importance de son héritage moral légué par ses parents. On entend qu’il assume pleinement ce qu’il a fait et ce qu’il est. Mais quand le procès repose la question de son choix de verser le banditisme, tout devient flou. Est-il en lien avec son activisme de révolutionnaire ? (La propriété, c’est le vol disait Proudhon.) Au contraire, le truand ne cherche-t-il qu’à régler des affaires bassement personnelle ? Rien n’est dit. Mieux, l’inculpé lui-même reconnaît ses contradictions. Au-delà, le film passionne encore pour entrer en résonance avec le présent : la volonté des autorités à vouloir faire taire des oppositions insaisissables, les violences policières ou les discriminations rencontrées à l’égard des « mulâtres », des Noirs et des Juifs. Après son acquittement concernant les meurtres dont on l’accusait, ce qui est signalé d’un carton à la fin du film, Pierre Goldman se réinsère dans l’édition et le journalisme. Il est assassiné en 1979. En 2005, avec un documentaire intitulé L’Assassinat de Pierre Goldman, Michaël Prazan tentait d’apporter de nouvelles lumières.

Deux grands films de procès ont été réalisés en moins d’un an, Saint Omer d’Alice Diop (2022) et Anatomie d’une chute de Justine Triet (2023). La sortie de ces films à quelques mois d’intervalle traduisent-ils une inquiétude ? Peut-être une soif de justice de notre société ? Le procès Goldman, plus directement politique que les deux précédents, est une troisième réussite dans le genre et cette fiction non plus n’a rien d’anodin.

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