Bela Tarr, Agnes Hranitzky, 2011 (Français, Suisse, Hongrois, Allemand)
Quand Benjamin m’a proposé de rédiger quelques lignes sur un film qui me tient à cœur à l’occasion de ce bel anniversaire, j’ai immédiatement pensé à mes longs métrages favoris sur lesquels je peux être intarissable. La trilogie du Seigneur des anneaux bien sûr, mais mon point de vue passionné apporterait-il quelque chose de plus à tout ce qui a été dit et écrit à propos du chef-d’œuvre de Peter Jackson ? Non, autant partir sur autre chose. The tree of life, qui demeure toujours parmi mes préférés (et selon moi le dernier très bon film de Malick) ? Pourquoi pas. J’ai eu d’autres idées de rédaction, mais finalement j’ai préféré partir sur un film plus atypique que, peut-être, peu d’entre vous qui liront ses lignes auront vu. Et parmi celles et ceux qui le connaissent, je serais ravi d’avoir vos avis ! Voilà, Le cheval de Turin (acheté à l’intuition, sans le connaître, parmi des blurays en promo) fait partie des films qui m’ont récemment le plus bouleversé !
En fait, j’avais déjà vu des images dans le « fan-clip » (non officiel donc) du groupe de funeral-doom Shape of despair, « To live for my death ». Sans savoir qu’elles étaient tirées d’un film, tellement elles s’accordent à la perfection avec la musique désespérée et immensément belle du groupe finlandais.
« Désespéré et immensément beau » convient tout aussi bien au Cheval deTurin, film du hongrois Bela Tarr. D’entrée, j’ai été impressionné par la beauté du long plan-séquence du vieil homme sur sa charrette tirée par un cheval fatigué qui avance péniblement contre le vent : c’est filmé de façon magistrale ! Tel un tableau en mouvement, comme d’ailleurs tout le reste du long métrage.
Le cheval de Turin est d’une puissance inouïe : sans aucun artifice, avec une musique lancinante et répétitive à l’infinie, quasiment aucun dialogue, un noir et blanc sublime, un décor d’une sobriété déconcertante (un père et sa fille vivant dans une maison dénuée de toute décoration : juste le fonctionnel, rien de plus), Bela Tarr nous entraîne dans un voyage intérieur d’une profondeur et d’une noirceur insondable.
« Sans aucun scénario non plus ! » diront les plus réfractaires. Mais ce film s’appréhende comme une œuvre d’art et pour moi le Cinéma, avec un grand C, c’est vraiment ça. Attention, j’aime aussi les films bien plus légers, les blockbusters, etc. Mais ici, oui, on parle d’une véritable œuvre d’art, immense. Certes, il faut pouvoir rentrer dedans, et ce n’est pas donné à tout le monde, mais si on est suffisamment sensible à cette forme de cinéma on ne peut qu’être bouleversé devant tant de beauté.
D’une durée de 2h26 (mais le réalisateur en a réalisé de bien plus longs comme Le tango de Satan en 1984, qu’il faut que je me procure absolument, avoisinant les 7h30 !), Bela Tarr prend le temps d’installer ce climat pour le moins austère à l’aide de longs plans fixes et contemplatifs donnant un souffle épique et une puissance magistrale aux images.
Disons que c’est un film qui prend aux tripes, qui se ressent et se vit plus qu’il ne s’explique et ne s’analyse… D’autant plus quand on le visionne fiévreux sous sa couette, dans un état d’esprit propice à se laisser absorber par cette admirable obscurité ! On aime ou on déteste, moi je suis juste tombé sous le charme, complètement abasourdi par tant de grandeur. Et ce, autant en tant que spectateur qu’en tant que photographe aimant par-dessus tout ce noir et blanc là, brut, aux murs effrités, aux portes rouillées, aux visages marqués, sinueux de rides, aux textures patinées et vieillies. Là où le long travail du temps qui passe a laissé des empreintes indélébiles.
Ludovic FABRE (www.ludovicfabre.com)
En lien avec le texte de Princecranoir, je t’aurai presque suggéré un sous-titre, Ludovic : Profils paysans… Est-ce que Depardon dans sa trilogie crépusculaire pensait à Nietzsche comme c’est le cas avec Bela Tarr ? Toujours est-il que, même distant l’un de l’autre, ces films ont la terre pour point commun, l’ascèse de leurs procédés et, dans ce qu’ils ont à montrer, il semble que tout n’y soit que déperdition.
Moi qui ne savais par quel bout entamer la filmo de ce Hongrois de renom, me voilà bien renseigné !
Merci pour ce conseil passionné.
De Bela Tarr, je n’ai vu que Les Harmonies Werckmeister (très impressionnant) mais Ce Cheval de Turin pourrait bien être le suivant (Satantango, c’est trop long pour moi). Merci pour ce billet.
PS : pardon pour le hors sujet, mais je ne résiste pas à cet appel du pied : Le Seigneur des Anneaux de Jackson trahit l’esprit et les thèmes du livre de Tolkien. 🙂
Comme Strum, je n’ai vu que Les Harmonies Werckmeister, et j’avais été très impressionnée à l’époque. Je le reverrai d’ailleurs bien volontiers, l’ayant à disposition en DVD. Merci pour ce compte-rendu et très bon blog anniversaire, en passant 😉
Voilà un bel article qui me donne envie de découvrir ce film. Merci !
Eh bien voilà qui m’intrigue au plus haut point, je ne connaissais pas, mais ça donne envie, merci !