Joseph L. Mankiewicz, 1946 (États-Unis)
Le seigneur de ces lieux est un vampire. Pas au sens strict du terme, mais le personnage de Nicholas Van Ryn en possède tout l’aristocratique héritage (Vincent Price, entre Laura, 1944, et Les Trois Mousquetaires, 1948, et au-dessus comme toujours). Tout d’abord, il a le caractère altier propre à ceux de son espèce. Puis, dans le ton, il a naturellement tout le mépris nécessaire pour s’adresser au vilain. Par ce même ton et sans pour autant forcer la voix, il sait aussi rappeler quels sont ses privilèges et faire savoir ce qui lui est évidemment dû. Il possède en outre la terre de ses ancêtres de la Nouvelle-Hollande. Il la préfère à ceux qui y résident et pour cela en jouira jusqu’à la mort. Nicholas a surtout toute la nocivité du vampire ainsi que son pouvoir d’attraction. En lui retirant chaque jour un peu plus de sa force vitale, il est ainsi capable d’affaiblir celle qui à ses côtés n’a pas été capable de lui donner un héritier. Comme le charme qui lie Nosferatu à Mina faisant fi des distances, il est tout autant capable pour la remplacer d’attirer une lointaine cousine du Connecticut. Enfin, Nicholas qui ne croit qu’en lui-même et en la supériorité de sa race, se heurte à la ferveur chrétienne de sa nouvelle compagne. Le père de celle-ci (Walter Huston), austère et rigide comme une croix, lui oppose même une défiance religieuse qui le ralentit et oblige ce noble qui veut plaire à des circonlocutions dont il n’a plus l’usage.
A Dragonwyck, les habitudes champêtres de Miranda Wells (Gene Tierne sublime comme toujours) vont quelque peu être bouleversées. L’imposante demeure de la famille Van Ryn, qui surplombe un large fleuve, ouvre d’ailleurs le récit sur d’autres perspectives narratives. Ce n’est alors plus seulement le vampire qui rode sur ces terres. Le manoir de Dragonwyck offre en effet un cadre propice aux ghost stories, de celles dont la littérature du XIXe siècle nous a régalé. Une aïeule morte dont le portrait domine une pièce réputée maudite, une ambiance gothique dans un château où se perdent les songes et les cris, Miranda voit bientôt ses espérances se transformer en cauchemar. Mankiewicz qui signe l’adaptation (d’après un roman sorti deux ans plus tôt d’Anya Seton) débute à la réalisation. Selon ce qu’on lit, il avait bien conscience de la ressemblance du roman original avec celui de Daphné du Maurier repris par Hitchcock pour Rebecca (1940). Peut-être s’efforce-t-il de s’en distinguer par la réalisation, mais il n’empêche pas les rapprochements possibles évidents entre les films. De même, une filiation apparaît avec La Maison du Diable de Robert Wise (1963), en raison de la bâtisse et des fantômes qui la peuple dans les deux films, mais aussi à cause de la petite fille, la seule fille de Nicholas, qui rappelle à sa manière le personnage d’Eleanor dans Haunting.
A la fin du récit, les murs de Dragonwyck ne s’écroulent pas. La demeure n’est pas livrée aux flammes. Les fantômes eux-mêmes, se dit-on, finissent par gagner la paix. En revanche, le châtelain vampire est forcé par sa femme de descendre de sa tour. Lui qui ne renonce à rien et refuse de céder aux lois qui disloqueraient son domaine, entre Miranda qui a révélé sa vraie nature et les paysans qui l’acculent, Nicholas Van Ryn finit par disparaître. Le film n’exploite peut-être pas tout à fait tous les éléments exposés (la malédiction finalement peu évoquée ou la chambre interdite qui n’a qu’un intérêt limité). Peut-être manque-t-il aussi de livrer un véritable écho psychologique à la situation à travers le personnage de Miranda (parfaite réussite au contraire chez Hitchcock et Wise). Toutefois, à la lisière du fantastique, par ses acteurs, son décors, sa photographie, Le Château du dragon a de très beaux atouts. Dans L’Aventure de Mme Muir (1947), avec plus de lyrisme et une passion moins sombre, Mankiewicz place le fantastique, cette fois bien réel, dans une sorte de tendre légèreté qui davantage encore nous ravit.
C’est surtout la photographie d’Arthur C Miller qui a apporté à ce film un peu plus d’ampleur. Vincent Price dévoile là le potentiel d’un personnage qu’il retrouvera systématiquement dans les films britaniques sous la coupe de Roger Corman.
Je n’avais jamais fait le parallèle entre son personnage et un « vampire » mais tu as tout à fait raison ! 😉
Merci pour la précision sur la photo. Et pour Price, c’est vrai que son personnage n’est plus vraiment celui de Laura. Par contre, je ne sais pas depuis quand il travaille ses rôles de vils et cruels aristocrates. Tu cites Corman, Le masque de la mort rouge (1964), par exemple, lui donne en effet cette occasion.