Jacques Doillon, 1971 (France)
« Demain, prends garde à ta peau, à ton fric, à ton boulot
Car la vérité vaincra, La Commune refleurira »*
Plus qu’une œuvre collective, L’An 01 est une utopie collaborative. Prenant pour point de départ la BD de Gébé, Doillon se lance dans un projet appuyé par Charlie Hebdo (le journal fondé en 1970 est encore tout jeune) et suscite suffisamment d’enthousiasme pour attirer de très nombreux participants. C’est post-soixante-huitard, garanti sans barricades ni coups de matraque et, concernant les idées, toujours vivifiant aujourd’hui. Point de départ : « Mardi, 15 heures, on arrête tout. » Et c’est valable pour tout le monde. Pas d’exception, pas d’excuse. Et ça veut dire quoi exactement ? Beh, ça veut dire abandon de la société de consommation en pleine Trente Glorieuses (et avant la rudesse politique infligée dans les années à venir), abolition de la propriété privée, amour libre et insouciance générale. « T’es sûr que c’est pas interdit ? » demande un bonhomme qui, avec les copains, s’apprête à marcher sur l’herbe les pieds nus. « – C’est plus interdit », qu’on lui rétorque. Ils avancent comme si l’herbe était fragile : « Tout doucement, on a toute la vie ».
L’An 01, c’est le début d’une ère nouvelle, où chacun prend le temps de vivre, de discuter, de comprendre pourquoi un tel n’avait pas envie de prendre le train ce matin pour se rendre au boulot ou pourquoi la société s’est mise à frénétiquement produire et à imposer à tous la masse de choses inutiles sortie de ses usines. En voyant les visiteurs d’un hypermarché devenu musée et à commenter l’usage fabuleux de l’électroménager qu’ils ont sous les yeux, on pense à Pater de Cavalier (2011). Dans une scène, Vincent Lindon se mettait en colère à la suite d’une conversation avec son concierge à propos des biens de consommation imposés par le système capitaliste et pour lesquels on dépense une énergie folle et des fortunes sans broncher. Alors L’An 01 fait mieux que la décroissance dont la présidentielle de 2022 ne veut même pas entendre parler : c’est l’occasion de tout stopper. Après ce temps d’arrêt, seul l’indispensable est relancé et les citadins se mettent à cultiver et arroser les trottoirs. Plusieurs sont un peu angoissés au début, c’est normal. Comme avant ils bossaient à la banque et dans les bureaux, les mecs savent rien faire, on les comprend. L’agriculture urbaine, c’est tout un concept. Mais très vite, on s’organise pour faire pousser les salades et distiller du chiendent, partir à la cueillette et se servir chez les bourgeois (bien obligés d’ouvrir leurs portes puisque du jour au lendemain tout appartient à tout le monde). Il y a bien des réticents, mais les conspirateurs voulant relancer la machine à broyer (les journalistes de Charlie et d’Hara-Kiri) ne se doutent pas que leurs réunions sont transmises à la télé et commentées au café.
Porté par les petites annonces publiées dans Charlie pour recruter du monde, L’An 01 ramène donc toute une foule et parmi les plus connus : Coluche pour se marrer au bureau, Higelin en troubadour, Lhermitte et Jugnot au milieu d’une communauté paysanne expérimentale, Gotlib en gardien de prison redonnant la liberté à tous, Miou-Miou, Albert Delpy, François Béranger, ainsi que Cavanna, Choron, Cabu, Wolinski… Le projet est enrichi de la participation d’Alain Resnais pour la scène des suicides des financiers de Wall Street (Stan Lee en voix off), ainsi que de Jean Rouch, pour une scène désopilante au Niger. Avec L’An 01 souffle un air d’anarchisme qui fait du bien. Et plutôt que de tout vouloir figer, conserver, rigidifier durant la crise sanitaire géante imposée par le Covid-19, L’An 01 c’était une occasion de réfléchir qu’on a sans doute manquée.
* Renaud, Société tu m’auras pas (1975)
Une source qui réapparaît par endroit