La loi du silence (I Confess)

Alfred Hitchcock, 1952 (États-Unis)

« Les prêtres l’intriguaient, certains lui avouaient qu’ils prenaient plaisir à ses films les plus sexy et les plus violents, ce qui l’amusait » [1]

Comme d’autres, le film n’est pas celui dont rêvait le réalisateur. Dans l’histoire originale, d’après une pièce de théâtre de Paul Anthelme (Nos deux consciences, montée en 1902 ), le prêtre découvrait être le père d’un enfant illégitime et finissait pendu. La critique envers l’Église était sévère et sans appel. Dans La loi du silence, si l’hypocrisie des mœurs est réelle, la critique n’est pas aussi violente ; les croix présentes en tout lieu jusqu’au tribunal rappellent malgré tout l’emprise de l’Église sur toute la communauté. Pas de condamnation du dogme ni du clergé, Alfred Hitchcock n’en voulait pas moins aborder avec cette réalisation des thèmes délicats, capables de susciter la querelle (l’amour des prêtres, l’union hors mariage, le transfert de culpabilité, le pardon…). Sans rien savoir sur la foi profonde du réalisateur, on garde à l’esprit que celui-ci a reçu une éducation jésuite durant toute sa scolarité, que lui et sa femme étaient catholiques et qu’ils ont contribué financièrement à différentes édifications religieuses à Londres et en Californie [2]. La morale chrétienne point d’ailleurs à plusieurs endroits dans sa filmographie (L’ombre d’un doute, 1943, Les oiseaux, 1963…), mais La loi du silence est un des deux films (avec Le Faux Coupable, 1956) qui abordent directement le sujet catholique.

Après une scène introductive géniale parce qu’elle fait de l’humour à partir d’une inquiétude expressionniste (l’ombre du mal circule dans les rues de Montréal tandis que le réalisateur nous invite à suivre des panneaux conduisant notre regard droit à une fenêtre ouverte exposant un corps refroidi), Hitchcock nous confie d’emblée qui est l’assassin. La confession du sacristain Otto entendue est aussitôt convertie en un terrible fardeau avec lequel le prêtre Logan va devoir durant tout le film composer.

Logan, Otto, Alfred : « Chacun tue l’objet de son amour » (Oscar Wilde) [3]

Ce que remarquait Bruno Villien, le père Logan (Montgomery Clift) est un personnage faible, « victime d’une femme exaltée et fétichiste » [4] (Anne Baxter). Il est surtout interdit par ses engagements religieux, incapable d’aimer Ruth,la femme avec qui il a eu jadis une relation, incapable de se défendre contre les indices qui l’accablent et le désignent aux yeux de la police comme le coupable idéal. N’y a-t-il pas déjà quelque chose de Vertigo (1958) dans ce double empêchement ?

Otto Keller est arrivé à Québec avec sa femme Alma en tant que réfugié allemand (O.E. Hasse et Dolly Haas). Le père Logan les a aidés, logés et a confié à Otto la mission de sacristain à l’église dont il a la charge. Otto a voulu voler Vilette, le corps mort au début du film, pour ne plus rien devoir à l’ecclésiastique (« Vous avez compris que ni ma femme ni moi n’étions habitué à vous servir »). Pris la main dans le sac, il l’a tué. Les motivations de Keller paraissent peu convaincantes, mais soit. C’est plus confus ensuite. Alma Keller est complice de son mari, mais peine à faire du tort au père Logan. À la fin, alors qu’il y a foule devant le tribunal (le prêtre vient d’être « miraculeusement » reconnu innocent par les jurés), Alma pointe du doigt son mari. Lui sort un pistolet et, dans un geste difficile à comprendre, tue sa femme (rappelons qu’Alma est le prénom de l’épouse d’Hitchcock…). Dans la dernière partie, Otto désespéré a fui et se retrouve dans une salle de bal, devant une scène avec rideaux, pour conclure l’histoire de manière théâtrale, avec un « Ego te absolvo », la dernière réplique du prêtre.

Hitchcock regrettait non seulement d’avoir dû renoncer en raison des studios à ce qui pouvait bousculer davantage la morale, mais aussi d’avoir fait d’autres concessions. La loi du silence n’avait pas non plus assez d’humour à son goût (Truffaut et Hitchcock s’arrêtent longuement sur le sujet dans les entretiens). En dehors de l’humour noir des premiers plans dans la ville, le réalisateur n’a eu recours qu’à un gag répété, la bicyclette d’un prêtre qui choisissait de tomber à chaque moment un peu dramatique. On le voit, le scénario souffre d’incohérences. Par ses plans recherchés, ses jeux d’ombres et de lumière, sa tension et son suspense, par toute la maîtrise hitchcockienne, le film se voit cependant encore avec intérêt et plaisir.

[1] Patrick McGilligan revient sur le propos et le nuance dans Alfred Hitchcock, une vie d’ombres et de lumière, Institut lumière, Actes Sud, 2011, p. 570.
[2] Ibid. p. 570-571.
[3] Citation reprise dans le catalogue d’exposition Dominique PAÏNI, Guy COGEVAL (dir.), Hitchcock et l’art, coïncidences fatales, Montréal, Mazzotta, 2000, p. 207.
[4] Bruno Villien, Hitchcock, éd. Colona, coll. « L’œil du cinéma », Paris, 1982, p. 234.

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