Spike Lee, 2005 (États-Unis)
La Trust Bank au cœur de Manhattan est cambriolée. Les braqueurs et le premier d’entre eux, Dalton Russell (Clive Owen), est persuadé d’effectuer un coup parfait, ce qui n’étonne guère. En général au cinéma, il n’y a que deux catégories de cambrioleurs, celle des perdants (prenons le bel exemple du rôle d’Al Pacino dans Un après-midi de chien de Sidney Lumet, 1976) et celle des gars sûrs d’eux, souvent séduisants, surtout méticuleux (pourquoi pas la brochette de personnages dans la série des Ocean’s eleven, twelve, 13, de Steven Soderberg, 2002-2007, ou, mieux encore, Cary Grant, dans La main au collet d’Alfred Hitchock, 1955). Dalton Russell appartient plutôt à la seconde catégorie. Les voleurs sont à l’intérieur et font enfiler à leurs cinquante otages une tenue identique à la leur, masque compris. Les otages et les agresseurs deviennent interchangeables et l’idée semblait originale mais se retrouve dans V pour Vendetta, de James McTeigue, sorti le même mois en France qu’Inside man. A l’extérieur, les policiers, eux, menés par l’officier incarné par Denzel Washington (aussi dans ce groupe, Willem Dafoe), voient impuissants la situation leur échapper. Madeline White alias Jodie Foster intervient auprès des forces de l’ordre, comme une troisième « force en présence », pour défendre les intérêts d’un homme qui a des raisons de penser que les braqueurs n’en veulent pas forcément au coffre (c’est un peu le mcguffin du film), à savoir le président de la banque en personne (Christopher Plummer).
Avec Inside man, Spike Lee nous amène un peu plus loin que le simple film de braquage au scénario déjà captivant (le spectateur est adroitement manipulé). Il aborde tout d’abord le thème de l’échange intelligemment et pose plusieurs éléments allant dans ce sens tout au long du film : le vol a lieu Exchange Street ; deux des trois personnages principaux sont des négociateurs (les rôles de Denzel Washington et de Jodie Foster), donc chargés de parlementer avec l’ennemi afin de trouver un compromis, faire en sorte que chacun ait une part et s’y retrouve ; Dalton Russel « prend » un certaine nombre de personnes en otage, s’en sert pour un chantage (normal) et demander ce qu’il souhaite (même si le comportement est factice dans un premier temps), il se sert également d’un dossier comme monnaie d’échange (le prix de sa liberté), et enfin, en bon voleur, prend son argent (en l’occurrence des diamants) ; ces trois personnages échangent tous quelque chose, objet, idée ou situation (White vers le flic -puisqu’elle achète son enquête par une promotion-, le flic vers le voleur -il ne le poursuit pas et le rejoint contre le banquier-, le voleur vers le flic -il achète sa tranquillité en le payant d’un diamant-) et bien d’autres négociations de ce genre (la négociatrice prenant le chèque, le flic prenant la bague, etc)… Enfin, dans une des scènes finales, le face à face entre les flics et le banquier a lieu devant un tableau de Cézanne, les Joueurs de Carte, un face à face au cours duquel ce ne sont pas seulement les regards qui sont échangés…
Ensuite, Spike Lee n’en oublie pas son engagement (il réalise Malcom X en 1993 et la plupart de ces premiers films tiennent un propos très politisé), même s’il reste discret et parfois plein d’humour. La question raciale est omni-présente dans les dialogues, et quelques allusions au 11 septembre 2001 sont glissées. Dès le début, la musique qui accompagne les images du centre ville new-yorkais est proche-orientale. Plus tard, un Sikh est pris pour un Arabe et inévitablement assimilé à un terroriste potentiel. Evoquons encore le mépris des flics pour la dignité humaine lorsqu’il est question de sécurité nationale ou un « comment voulez-vous trouver un 747 à NY ? »…
Le film est mineur, mais malin. Le scénario nous tient en haleine et la caméra de Spike Lee n’est pas maladroite. Le film de braquage est réussi et son discours entendu.
Voilà un film que j’ai véritablement adoré et que j’étais allé voir à sa sortie en salles en compagnie d’Ornelune : je l’ai depuis acheté en dvd (pas encore regardé le making-of, ni les scènes inédites de l’édition collector) et vu au moins trois fois de plus !
Je ne dirais pas que le film est « mineur », mais au contraire il s’agit selon moi d’un des meilleurs polars de ces dernières années avec une intrigue originale (l’effet de surprise de la révélation finale lorsqu’on le voit la toute première fois est énorme !), une réalisation exemplaire et une prestigieuse palette d’acteurs tous aussi bons les uns que les autres. J’ai adoré aussi bien la « moralité » du braquage, de la prise d’otages, que son originale construction. Il est d’ailleurs possible que Spike Lee tourne une suite intitulée logiquement Inside man 2 ! A suivre…
Ornelune a anticipé mes habituelles références à Al Pacino avec Un après-midi de chien (Sidney Lumet, 1976), je rappelerai donc seulement l’anthologique prestation de Jodie Foster (une de mes actrices fétiches depuis tout petit) aux côtés de Robert De Niro dans le non moins cultissime Taxi driver (Martin Scorsese, 1976), à voir et revoir sans modération !