Naomi Kawaze, 2011 (Japon)
Habituée des sélections cannoises la cinéaste japonaise Naomi Kawaze avait remporté la caméra d’or en 1997 pour Moe no suzaku, puis le Grand prix du festival en 2007 pour La forêt de Mogari. Depuis, sa réputation de réalisatrice subtile et sensible la précède et Hanezu, l’esprit des montagnes n’échappe pas à la règle. A sa sortie le film a pourtant fait l’objet de critiques assez tièdes, les chroniqueurs lui reprochant de recycler une fois de plus ses thématiques habituelles (n’est-ce pas finalement ce que font tous les artistes ?), mais avec moins de finesse et de réussite qu’auparavant.
Hanezu est l’occasion d’explorer une nouvelle fois la relation de couple à travers le personnage ambiguë de Takumi, une jeune femme taciturne et mélancolique mariée au sémillant Tetsuya, un cadre dynamique qui bosse dans la pub. Le couple vit dans la région d’Asuka, considérée par les historiens comme le berceau de la civilisation japonaise. Une région montagneuse et rurale, très éloignée de l’imagerie moderne du Japon et dont la population est vieillissante. Le paysage y est verdoyant, très découpé et si la main de l’homme y est visible c’est surtout à travers ses rizières en terrasses et ses petites routes qui serpentent à flanc de colline. De ces paysages se dégage une impression de calme et de plénitude à peine troublée par le bruit du moteur pétaradant d’un vieux keijidōsha (petites voiturettes que l’on croise souvent dans les campagnes japonaises). Takumi ne travaille pas et occupe ses journées à teindre des tissus traditionnels, à se promener dans la forêt ou bien à rendre visite à sa mère, qui vit à quelques encablures de là. Le soir quand Tetsuya rentre c’est à peine s’ils échangent quelques mots et les tentatives du mari pour engager la conversation se soldent la plupart du temps par une réponse laconique et définitive de la part de sa femme ; la gène entre eux est palpable et chaque regard, chaque geste est empreint d’embarras et de malaise. Il n’y a guère qu’en compagnie de son amant Kayoko, un artiste sculpteur, que le visage de Takumi prend vie, entre les deux jeunes gens la complicité est évidente, même si les conversations se font presque aussi discrètes. Jusqu’au jour où Takumi apprend qu’elle est enceinte, la jeune femme devient alors inconsciemment l’objet d’une lutte silencieuse entre deux hommes que tout oppose. L’arrivée de cet enfant est un profond bouleversement familial pour Takumi comme pour Kayoko et les spectres du passé semblent refaire surface, les cicatrices anciennes s’ouvrent à nouveau, dans une dynamique qui relèverait presque de la psycho-généalogie.
S’il y a une chose que l’on ne peut pas reprocher à Naomi Kawase, c’est de laisser le spectateur indifférent, si le film n’est pas totalement convaincant, il est en revanche extrêmement troublant. La réalisation est ici d’une sobriété exemplaire, mais elle souffre justement de l’application très scolaire dont fait preuve la cinéaste japonaise. On aimerait être surpris par le montage ou le cadrage. La composition de chaque scène est extrêmement étudiée, très soignée, mais il faut se rendre à l’évidence, la copie reste désespérément classique. Le symbolisme du film est quant à lui bien trop appuyé, presque maladroit, la scène d’introduction, commentée par une voix off récitant un passage d’un vieux conte traditionnel japonais donne le ton et ce ne sont pas les passages oniriques qui pourront nous convaincre du contraire. Tout cela est bien trop éthéré, trop éloigné du réel, sans que la réalisatrice n’ose réellement jouer la carte du fantastique. Il n’empêche que le film a quelque chose de fascinant dans sa dimension contemplative, dans sa lenteur et dans sa capacité à projeter le spectateur dans une atmosphère d’étrangeté. Naomi Kawase a du talent pour exploiter le silence et l’implicite, un geste ou un regard et l’on saisit immédiatement ce que ressentent les personnages. Le poids du passé est omniprésent et cette idée qu’il influe fatalement sur le présent, en bien ou en mal, ce côté dramatique et inéluctable, fait la grande force du film. Le personnage de Takumi reste jusqu’au bout insaisissable, elle est la grande énigme du film, le spectateur donnerait cher pour connaître les pensées qui s’agitent probablement sous son crâne. On s’interroge, on essaie de comprendre ses motivations, sans y parvenir mais avec le sentiment que rarement l’on aura croisé un personnage à la fois si simple et si complexe. Au final, Naomi Kawase ramène son propos à des éléments fondamentaux de son cinéma. A la nature et à la terre, que les hommes creusent à la recherche des traces de leur passé, comme ils paraissent creuser leur propre histoire familiale pour trouver une réponse à l’énigme que représente leur vie ; en vain semble-t-il. Mais ce retour à l’ordre naturel apaise l’âme, comme l’observation d’une simple toile d’araignée emperlée de rosée ou la contemplation d’un coucher du soleil sur les collines boisées d’Asuka.
Les symboles sont simples en effet et intemporels, on se laisse porter en suivant Takumi dans cette nature, ce quotidien, dans une sorte d’abandon. Très joli film.