Milos Forman, 1979 (États-Unis)
Le Tchèque Milos Forman (Vol au dessus d’un nid de coucou, 1976) releva la commande des studios qui voulaient voir les tignasses s’agiter sur grand écran en raison du succès, à Broadway depuis la fin des années 1960, de la comédie musicale éponyme, mais aussi de la timidité dépassée par Hollywood eu égard au Vietnam dont la guerre avait peiné à s’achever en 1975*. La chevelure du titre est celle du mouvement hippie qui contraste avec la rigueur capillaire des autorités (parentales ou policières) et des classes bien-pensantes. Claude Bukowski (John Savage, participant la même année au Voyage au bout de l’enfer de Cimino) est délogé de son Oklahoma natal par l’armée qui le veut, lui et tout un pan de la jeunesse américaine, sous le ciel asiatique pourtant si peu clément aux troupes US. Arrivé à New York, au cœur de Central Park, le jeune rural fait la rencontre de doux rêveurs perdus dans d’étranges influences zodiacales (Aquarius). Par contraste avec leurs interlocutrices, deux femmes à cheval en tailleur et culotte d’équitation, le langage cru de leur chanson fait sourire (Sodomy). Claude sympathise avec Berger (Treat Williams dont l’attitude a peut-être inspiré Jonathan Groff dans Taking Woodstock d’Ang Lee, 2009) et, durant les jours qui précèdent son incorporation, le pacifiste hirsute tente de lui faire découvrir de diverses façons les sensations accompagnant ses aspirations de totale liberté (morale, sexuelle…).
La petite trouvaille de Hair est de savoir amener chez le spectateur ce sentiment de profonde injustice en voyant Berger enrôlé par l’armée à la place de Claude suite à un échange qui se voulait ludique et temporaire (Berger enfilait l’uniforme et répondait à l’appel pendant que Claude revoyait ses amis avant de partir). Cette injustice est celle qui a été éprouvée par les futurs incorporés, leurs parents et leurs amis. De plus, Forman crée une image forte lorsqu’il filme les files de soldats s’engouffrant dans le ventre noir des avions qui les parachuteront à la mort, sur le front vietnamien (The flesh failures). Le point de vue de ceux qui restent exclut toute vue directe du conflit. Une ellipse assure donc le raccord entre la sortie de cadre de l’avion chargé de soldats et une multitude de tombes blanches dans un cimetière militaire. Puis un terrain vert brusquement envahi par la foule nous entraîne devant la maison blanche en un flot de contestations associant symboles pacifistes et drapeau américain. A la mort répond ainsi toute la jeunesse et la vie d’un pays (Let the sunshine in).
La musique écrite par Galt MacDermot est marquée par une section rythmique que les comédies musicales, souvent lissées par des ensembles de cordes classiques ou pire, noyées dans les nappes de claviers, ne savent plus produire. Le groove de la basse fait frémir et la trépidation de ses cordes enrichit chaque morceau (Black boys, Hair, Electric blues). Les chœurs sont entraînants (Walking in space). De même, les paroles comme certaines chorégraphies sont pleines d’humour (un duo imitant par provocation les pas des chevaux de la police montée sur Aquarius). Hair procure un enthousiasme au moins égal à celui ressenti devant le Rocky Horror picture show (Jim Sharman, 1975) et sa bande originale s’écoute toujours avec grand plaisir.
* Les accords de Paris en 1973 entraînèrent le rapatriement des troupes du Vietnam aux Etats-Unis. Les films opposés à la politique américaine du moment, voire antimilitaristes, sortaient enfin mais depuis peu (Mash d’Altman, 1969, Little big man de Penn, 1970, Johnny got his gun de Dalton Trumbo, 1971). Quant aux premières fictions mettant en scène le conflit vietnamien ou l’engagement des soldats, elles sont postérieures à 1975.
Pour aller plus loin sur « Hollywood et le Vietnam »
– Voir le dossier « La guerre du Vietnam dans le cinéma américain » préparé par Aurélien Portelli, enseignant en histoire du cinéma et auteur du blog Mécanique filmique.
– Ignocio Ramonet, Propagande silencieuse, Gallimard, Folio – Actuel, 2000, chap. « Hollywood et la guerre du Vietnam ».
Beau texte, qui donne envie de revoir le film, parfois injustement dénigré (il serait « édulcoré » ou alors il arriverait « trop tard », dix ans après le succès du spectacle). J’y avais pris personnellement beaucoup de plaisir et, si je me souviens bien, on y retrouve tout à fait la vigueur habituelle de Forman.
Je t’avouerai que les films de Milos Forman sont assez loin dans mon esprit. Une réactualisation serait nécessaire que se soit Flynt qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable (1997, et qu’il n’est pas étonnant de voir produit par O. Stone) ou Amadeus (1989) et Valmont (1984)… Le reste m’est inconnu.