George Miller, 2024 (Australie, États-Unis)
George Miller se façonne un nouvel engin tout droit sorti des enfers, un véhicule à grosse cylindrée capable de tracer un trait net en plein désert, un colosse blindé-chromé pour échapper à l’attelage du désespoir et assez puissant pour traverser la mort, notre monde ou celui d’après. À son bord, Furiosa dont le seul nom dévoile le degré de volonté qu’il faudra atteindre pour espérer survivre à cette post-apocalypse.
En 2015, Fury Road précipitait dans un aller-retour démentiel l’« imperator » Furiosa (alors interprétée par Charlize Theron) en un convoi chargé de sauver un groupe de femmes des horribles plans génésiques du tyran Immortan Joe. Depuis, George Miller a peiné à produire un nouvel épisode dans les temps souhaités, les aléas de production ayant longtemps repoussé le tournage d’un récit écrit il y a longtemps (sans parler des studios qui, raconte-t-on, lui ont mis des battons dans les roues). Mais le délais a été profitable car, avec Furiosa, le récit épique s’étire et s’étend sans baisse de régime ni diminution d’intensité. Le préquel de Fury Road dure une demi-heure de plus (148 minutes au total). Le terrain parcouru est polarisé par trois sites et non plus deux : la Citadelle esclavagiste, l’immense usine de Pétroville et les forges du Moulin à Balles. L’équilibre commercial et politique entre les trois cités est maintenu et dans ce monde de cauchemars Immortan Joe et ses rejetons règnent en dieux. Exploitation des ressources terrestres, exploitation humaine et la guerre comme menace permanente, voilà pour la mise en place.
Les cinq chapitres du film défilent comme autant de wagons accélérant le rythme un peu plus à chaque fois. Ainsi, les premières parties, racontent le calvaire de la toute jeune Furiosa, privée de l’oasis qui l’abritait, bientôt de mère et d’enfance. Elle devient alors la prisonnière de Dementus, le superbe antagoniste (à la hauteur d’Immortan Joe qui, lui, cède du terrain dans cet opus). Chris Hemsworth, lui-même habitué aux super-héros, incarne un personnage à la croisée des mythes : mélange de biker et de barbe-bleue (ou rouge), de chef de meute et de patricien romain. On le voit assoiffé de pouvoir et enlever les foules d’un puissant discours éructant de démagogie. Mais, ce que l’on devine avec l’ours en peluche enchaîné à sa tunique, l’homme a ses failles et dissimule une misère sentimentale sous des couches épaisses de muscles et d’orgueil. Les chapitres s’enchaînent et, entre les pattes de ce faux père, Furiosa survit. Traumatisée, soumise, mutilée, elle devient un condensé de haine mutique et, dans le rôle, Anya Taylor-Joy est tout aussi solide et fascinante que Dementus. Le monde imaginé par Miller engendre avec la jeune Furiosa une sœur de folie pour Max, le premier héros aliéné que le réalisateur australien nous faisait rencontrer (Mad Max en 1979). Alors qu’il revenait sous les traits de Tom Hardy dans Fury Road, il n’est plus dans Furiosa qu’un observateur distant, une silhouette sur un promontoire furtivement aperçue.
George Miller fait place dans son scénario à un autre personnage notable : Prétorien Jack (interprété par Tom Burke). Il est un compagnon pour Furiosa et un guide, un temps du moins (une sorte de réplique plus stable de Max). Jack est juste, amical et, au volant d’un camion à double citerne avec masse d’arme géante à l’arrière, d’une très grande assurance. Jack et Furiosa s’apprécient sans effusion de sentiments et leur association est un plaisir (contrairement aux personnages d’autres blockbusters contemporains finalement, Dune de Denis Villeneuve en tête, qui ne nous laissent apprécier personne et nous écrase de leur seule pompe). La scène d’assaut du monstrueux véhicule lancé à vive allure comme jadis une diligence ou un train attaqué par des indiens est tout bonnement d’anthologie. En outre, parce que George Miller y déploie une maestria délirante, avec motos, ailes volantes et traits explosifs en tout sens, elle s’avère la locomotive du film en terme d’action pure.
Avant que l’histoire ne s’achève, prenant alors dans une dernière séquence des allures de nouveau mythe (ce que Miller brassait dans son précédent film Trois mille ans à t’attendre, 2022), le spectateur aura été plongé dans un maelstrom de genres : péplum, western, film d’évasion et de bagnoles et, surtout, surtout, film d’action en apothéose.
Entièrement d’accord, je suis ravi que tu aies tant apprécié ce Furiosa. J’ai bien envie de le revoir, si j’ai un moment dans la semaine je le ferai (surtout qu’il n’y a pas grand-chose en salles en ce moment…).
Quant à moi, j’ai envie de me confronter à nouveau à Fury Road qui, à sa sortie, m’avait diverti mais pas tant enthousiasmé (faut dire que le film avait profité d’une déferlante d’éloges qui m’avait laissé dans l’expectative).
Très chouette article qui me fait penser qu’un je ne sais plus qui comparaît le western à du peplum dans les plaines d’Amérique. On pourrait dire que Miller a transposé le tout dans le bush australien. Il y a quelque chose d’une confrontation de cités antiques dans cette Furiosa aux accents homériques. Je n’ai pas pour autant été convaincu par ce récit sans passion et sans charisme qui s’étire en chapitres répétitifs (et il manque cette touche de dinguerie métal hurlant qui habitait certaines idées de la Fury Road de très loin supérieure). Si la forme reste irréprochable, le contenu ne me semble pas plus passionnant qu’une origin story de chez Marvel.
J’ai de loin préféré la pompe shakespearienne de la Dune villeneuvienne, et sa Joy en Allia avec ou sans couteau.
Argh, la comparaison assassine avec Marvel… Non, quand même c’est au-dessus, faut pas pousser :p
Quant à la comparaison avec Dune, je sais pas, l’absence de gens sympas, ça me fait faire un pas en arrière. Villeneuve ferme sur ses personnages un monde qui ne me semble pas avoir d’issu. Là, -je me permets l’expression-, j’ai plutôt foi en Furiosa, c’est un être positif que l’on veut voir réussir, c’est devenu rare me semble-t-il.