Giovanni Troilo, 2019 (Italie, Mexique)
En s’appuyant sur les moments forts de sa vie ainsi que sur une sélection de peintures, les uns permettant généralement d’accoucher des autres, le documentaire de Giovanni Troilo déroule la vie de Frida Kahlo de manière chronologique. L’accident de bus, les débuts de sa relation avec l’artiste Diego Rivera, leur vie à Détroit, son émancipation et la fabrication de son propre mythe… (au total « six chapitres d’un voyage à la recherche de Frida »). Cette succession de faits et de périodes offre une trame simple. Mais le réalisateur greffe dessus un foisonnement d’images avec lequel il cherche à retrouver un peu de la soif de vivre de Frida.
Giovanni Troilo nourrit le portrait de la Mexicaine à la manière de ses toiles, quasi surréalistes (même si elle rejette le terme), à partir d’éléments variés qui pris ensemble forment un tout et laissent un sentiment d’étrangeté. Ses propres images, ses influences, les objets lui ayant appartenu : les sources sont multiples, parfois directement en lien avec l’artiste, parfois avec son époque. L’icône Frida appelait une forme originale. Aussi, le documentariste laisse s’exprimer des artistes comme la photographe mexicaine Graciela Iturbide et la danseuse Laura Vargas. On visite l’atelier d’un peintre d’ex voto contemporain. On traverse Teotihuacan. Des femmes posent en robes traditionnelles face caméra. Des silhouettes en rouge s’apprêtent à amputer leur patiente. À Tehuantepec, éclatent les dernières lumières d’une fête. On pense à la vie qui jaillit dans les tableaux de Frida Kahlo, malgré la mort et la douleur toujours présentes : fleurs, plantes peintes jusqu’aux racines, fruits, oiseaux, singes, chats et papillons…
À cette profusion de formes et de couleurs populaires, modernes et précolombiennes, le film donne un cadre. Il revient notamment plusieurs fois au Musée Frida Kahlo ou à La Casa Azul, l’ancienne demeure de la peintre. De façon plus classique, la parole des intervenants structure l’ensemble, celle de spécialistes mais aussi la narration d’Asia Argento (dont la présence physique, même si on aime bien l’actrice-réalisatrice, paraître néanmoins superflue).
Frida, Viva la vida n’oublie rien de l’artiste : ni ses engagements politiques (le Parti Communiste Mexicain, Trotski, sa critique des États-Unis), ni son intimité (ses souffrances physiques, ses tourments, ses amours), ni sa relation à la nature et à la culture indigène… Le documentaire essaye de rester fidèle au mythe que s’est fabriquée la peintre, celui des « deux Frida », comme le tableau de 1939 : d’un côté la femme endolorie, de l’autre l’artiste qui s’en nourrie, d’un côté l’icône (récupérée ici et là) et de l’autre la femme peintre qui a gagné sa liberté. De toutes les toiles citées, je retiens surtout Le Cerf Blessé (El Venado Herido, 1946). Sur cet autre autoportrait, l’animal fantastique court mourant dans une forêt de bois morts. Et pourtant, il paraît tout droit sorti du Jardin des délices de Jérôme Bosch.
Hello Benjamin. Merci pour cette chronique.
Avais-tu eu l’occasion de voir la fiction réalisée par Julie Taymor, avec Salma Hayek dans le rôle de Frida ? C’est ce film qui m’avait permis de mieux connaître le parcours et les oeuvres de Kahlo.
Bonjour Martin. Je découvre tout de Frida ou presque avec ce documentaire. Et c’est vrai que je suis un peu curieux du Frida de Taylor fait il y a vingt ans. Je vois qu’il existe aussi un récent « film-expo », Exhibition on screen: Frida Kahlo de Ali Ray (2020) et surtout un plus intriguant Frida Kahlo & Tina Modotti de Peter Wollen et Laura Mulvey (1983).