Faust, une légende allemande

F. W. Murnau, 1926 (Allemagne)

FAUST, ESPACES TEMPS

 

ROHMER : LES INFLUENCES MULTIPLES DE MURNAU
et LE PENCHANT ROMANTIQUE

 

Dans la thèse qu’il soutient en 1972 et publiée en 1977, L’organisation de l’espace dans le Faust de Murnau, Eric Rohmer1 donne une analyse détaillée et passionnante de trois types d’espace : l’espace pictural (l’image projetée sur l’écran), l’espace architectural (le décor, les objets, les costumes qui apparaissent à l’image) et l’espace filmique (l’espace virtuel reconstitué par la mise en scène et le montage).

C’est dans la première partie sur l’espace pictural que Rohmer traite des influences artistiques. Murnau est d’abord rapproché du Caravage et de Vermeer car tous trois à leur manière font de la lumière « l’organisatrice absolue de l’espace »2. Rohmer insiste dès les premières pages de son étude sur le rôle primordial que Murnau accorde à la lumière car elle est au cœur même de son sujet (le combat de l’ombre et de la lumière), mais elle est aussi celle qui « modèle la forme » et en fait apparaître toute la beauté. Là-dessus, probablement pourrions-nous parler à propos de Faust, comme la critique Lotte Eisner le disait à propos des films de Fritz Lang, d’une « dramaturgie de la lumière »3.

Ensuite, quand Rohmer traite du « dessin » et examine les photogrammes de Faust, Murnau est écarté des Expressionnistes (nous y reviendrons) et plutôt intégré au cercle des Romantiques, non seulement en raison du sujet même du film et de sa matière (le Faust de Goethe) mais aussi parce que, selon Rohmer, il partage avec les peintres romantiques une certaine « liberté de trait »4. Le mouvement aussi est romantique (l’élan, les courses, les passions, le vent, tout le souffle qui traverse le film5) mais pas seulement, car les nombreuses plongées et contre-plongées dans Faust permettent encore de comparer Murnau aux artistes baroques. Rohmer poursuit et termine sa première partie en dégageant les principales formes qui occupent l’espace pictural : les lignes et les cercles, les triangles dans une moindre mesure, formes dont les dispositions confèrent aux plans toute leur dynamique et qui sont aussi pour l’intrigue des sources d’angoisse et de tension6.

 

Comme le cinéaste français le démontre, les influences artistiques de Faust ne se limitent donc pas à un seul mouvement et c’est aussi pourquoi Faust est écarté de l’expressionnisme7. Eric Rohmer rend bien compte de l’extrême attention de Murnau à la composition picturale et architecturale de ses plans et rapporte, ce que nous venons de résumer, tout ce que le film doit à des courants artistiques très divers. Néanmoins, le réalisateur français concède bien un ou deux plans « discordants » et « d’allure nettement expressionniste »8. De même, les décors comportent selon lui des « traces d’expressionnisme ». L’expression nous paraît toutefois réductrice car, dans presque toutes les séquences qui se déroulent sur Terre et a fortiori les séquences urbaines, Walter Röhrig et Robert Herlth, les décorateurs, ploient les espaces, écrasent les personnages sous les voûtes et les oppressent dans des rues bondées aussi bien que dans des lieux que les ténèbres ont envahis9. L’organisation de l’espace est ici toujours symbolique, héritière de motifs gothiques, hostile aux angles droits et à la symétrie, clairement cauchemardesque, et sujette, comme l’époque l’exige (ce qu’atteste le succès des travaux de docteurs variés, de Freud et de Jung, mais aussi ceux de Caligari et de Mabuse), à une interprétation psychanalytique10. De plus, si l’expressionnisme au cinéma se définit essentiellement par la maîtrise d’un espace stylisé à outrance et façonné autour des personnages et de leur état d’âme (à la fois par le rendu plastique et la Stimmung), les acteurs ne doivent pas être oubliés, principalement Gösta Ekman, Emil Jannings et Camilla Horn, qui incarnent respectivement Faust, Méphisto et Marguerite. Ils participent en effet tout autant à l’expressionnisme du film grâce à leurs corps qui sont les premiers supports aux jeux d’ombres et de lumières, grâce à leurs gestes et à leur faciès, grâce à leur jeu parfois grotesque, toujours expressif.

 

 

Ainsi, en insistant sur les différentes composantes artistiques de Faust et, de ce fait, en accordant moins d’importance aux caractéristiques proprement expressionnistes, Rohmer semble reprendre avec le chef-d’œuvre de Murnau la démarche de Lotte Eisner sur laquelle il s’appuie et qui, dans L’écran démoniaque (publié en 1952 et réédité en 1965), chercha à mettre en évidence dans une perspective d’histoire des arts les nombreuses influences dont le cinéma de la République de Weimar pouvait rendre compte11. De même, à lire la première partie de sa thèse, et même s’il ne s’en tient pas qu’au seul mouvement romantique, il nous semble que le cinéaste français subit encore l’influence d’une querelle sur le cinéma de Weimar qui, suite à la parution de L’écran démoniaque, opposa dans les années 1950 les partisans du romantisme à ceux de l’expressionnisme12 ; Rohmer s’avérant comme Eisner plus proche des premiers que des seconds.

D’AUTRES REMARQUES SUR L’ESPACE : ESPACES CLOS et ESPACES OUVERTS, ENFERMEMENTS et DÉLIVRANCES, DAMNATION et SALUT

 

En fait, cette opposition entre expressionnisme et romantisme se retrouve d’une certaine manière dans le sort réservé à Faust à l’image par le réalisateur allemand et réapparaît en plusieurs endroits du film. Le Faust de Murnau, plutôt fidèle au premier Faust de Goethe (1808), sans empêcher une lecture prométhéenne du drame, raconte le combat entre le bien et le mal et la délivrance d’un homme tenté par le diable. Les décors et plus largement l’espace architectural, tout autant que la mise en scène et l’espace filmique confinent le vieux savant, le cadrent et le sur-cadrent, le coupent et l’enferment ou, au contraire, le libèrent et le détachent de toute contrainte matérielle. Au cours des séquences, les espaces s’ouvrent et se ferment sur les personnages et sur Faust en particulier de telle manière que cette alternance, comme des coups portés et leurs ripostes, ressemble déjà à un combat. On pense alors immédiatement à établir un parallèle avec le combat que se livrent à chaque plan l’ombre et la lumière. Cependant, cela ne fonctionne pas tout à fait. Si la fermeture des espaces correspond bien en général aux péripéties malheureuses et successives que connaît Faust, l’ouverture des espaces, elle, ne s’ajuste jamais parfaitement avec l’envahissement de la lumière à l’écran (c’est le cas seulement au début et à la fin lors des séquences célestes). C’est que l’espace traversé et vécu par Faust se conforme davantage à l’état d’esprit du savant (faible ou téméraire, oppressé ou libre, sous l’emprise de Méphisto ou animé d’un véritable amour) qu’à la domination dans le récit du bien ou du mal. En d’autres termes, ce que Faust croit être bon pour lui ne relève pas forcément pour le réalisateur et le spectateur du meilleur des choix. De la même manière, s’il y a bien une alternance entre les influences artistiques principales, romantique et expressionniste, leur opposition n’est pas systématique. Elle se retrouve par endroit certes, mais ne s’accorde pas nécessairement avec la fermeture et l’ouverture des espaces, ce qui a pour effet de complexifier la structure du film et l’analyse de sa mise en scène. Voyons maintenant plus en détail cette dualité spatiale et donnons justement quelques exemples en accord avec ces références picturales.

 

Dans la première partie, avant qu’il n’invoque Méphistophélès, Faust n’apparaît jamais complètement. Dans son laboratoire ou au chevet de la pestiférée, il est cadré en plan rapproché et en gros plan, ou bien, dans de rares plans moyens, il disparaît dans l’ombre et la fumée. Dans cette partie (de la 6ème à la 17ème minute), plusieurs plans tracent des lignes qui évoquent le motif de la chute. D’autres images paraissent accabler Faust, les courbes des voûtes et des portes pèsent sur ses épaules et jouent sur sa stature. Faust est cloîtré, enfermé en plein expressionnisme.

 

 

Quand on le voit pour la première fois distinctement de la tête au pied, c’est en extérieur, quand il parcourt la lande pour invoquer le diable ; comme si le fait même de chercher Méphistophélès avait déjà quelque chose de libérateur (le recouvrement de son corps à l’écran et la possibilité d’errer dans la nature) ; un certain romantisme (Caspar David Friedrich en référence) prenant ici le pas sur l’expressionnisme davantage réservé aux décors urbains plus oppressants.

 

 

On compte quatre libérations ou délivrances de ce type tout au long du récit. La première correspond donc au choix que fait le savant : découragé de ne pas trouver de remède contre la peste, Faust se laisse séduire par les propositions de Méphisto, renonce à Dieu et signe le pacte qui le condamne (« Être délivré ne serait-ce qu’un jour de mon impuissance »). Au moment de conclure cet accord, son désir de philanthropie n’est pas encore entamé puisqu’il garde à l’esprit de « venir en aide aux miséreux et aux infirmes » (25ème mn). Faust cependant paye très vite ce choix lorsque la population se retourne contre lui qui, devenu suppôt de Satan, est désormais incapable de soutenir du regard la croix du Christ. Plan après plan, entre romantisme et symbolisme, le cadrage se resserre : plan moyen, quand il tente de porter secours au peuple, plan rapproché quand il s’apprête à se donner la mort (« Délivre-moi potion empoisonnée »), gros plan quand le diable lui rappelle le pacte qui l’enchaîne et empêche son suicide. La première libération passe très rapidement et les tourments vite le rattrapent.

 



 

Méphistophélès délivre Faust une deuxième fois et l’incite ce coup-ci à oublier les autres et à« profiter des plaisirs de la vie ». A cette fin, le démon use de sa magie et permet au vieillard de retrouver sa jeunesse (33ème mn). Mais dans cette scène la magie véritable vient de Murnau et de son équipe qui nous captivent de leur déchaînement fantasmagorique : la pièce s’embrase, le diable grandit démesurément et, une fois la fumée dissipée, le jeune homme apparaît. Le vieux Faust est montré une dernière fois avant longtemps, le visage en gros plan dans un miroir qui le retient prisonnier, cadre et sur-cadre accentuant cette idée d’emprisonnement et d’impuissance : « Nous avons capturé le vieil homme ». A l’inverse, le jeune Faust est bientôt sur pied, enthousiaste et, dès que la duchesse de Parme lui est montrée, plein d’une ardeur retrouvée. Loin au-dessus des plongées urbaines expressionnistes, la scène du voyage aérien, qui par un affranchissement de l’espace et du temps marque l’aboutissement de cette libération apparente et de ce rajeunissement, est d’influence clairement romantique. Eisner et Rohmer le relèvent dans leurs études respectives et Rohmer avance les noms d’Altdorfer (de qui se réclame Murnau à cet endroit) et de Rousseau13.

 


 

La troisième délivrance n’est plus directement imputable au diable. Faust est à jamais devenu l’esclave de Méphisto. L’organisation du plan correspondant au dernier baiser que Faust donne à la duchesse illustre un nouvel enfermement (d’autant plus marqué qu’il vient peu de temps après le voyage aérien). Le couple s’embrasse dans la partie inférieure de l’image, leurs corps tronqués au ventre et sous un baldaquin partageant le plan en deux. Au-dessus, Faust occupe toute la partie supérieure de l’image et s’apprête à les plonger dans la nuit en refermant sur eux sa grande cape noire.

 

 

Comme le montre le plan suivant, au bout de l’aventure démoniaque, il n’y a que déception : « Faust, tu as pleinement profité de la vie […] Mais maintenant, tu ne te réjouis plus de rien » (44ème mn). Faust est assis dans le noir et des exhalaisons le dissimule en partie. Il n’est plus ivre de richesse ou de pouvoir mais aspire seulement à rentrer chez lui (l’arrière-plan s’ouvre et l’obscurité laisse place à une perspective de sa propre ville). Méphisto le ramène donc et, là-bas, l’amour qu’il découvre pour Marguerite, « âme innocente » qui courait à l’église, va le sauver (la troisième délivrance). On note alors au moment de la rencontre avec Marguerite, un mouvement ascendant de la population qui gravit les marches de l’église (une première idée du salut), ainsi que des plans moyens qui saisissent entièrement Faust dans un halo de lumière. On note aussi avec le retour en ville, un retour vers une série de plans expressionnistes.

 

 

D’autres photogrammes témoignent d’une liberté retrouvée avec l’amour porté à Marguerite, comme ce paysage idyllique et floral où les personnages gambadent naïvement.

 

Mais ce moment de joie et d’échanges amoureux précède encore une séquence de désespoir et de claustrations nouvelles : Valentin, le frère de Marguerite, meurt tué par le diable, Faust accusé de meurtre doit fuir, et Marguerite montrée du doigt est rejetée comme une catin. L’hiver suivant, devenue vagabonde (Eisner avait déjà noté que Murnau en cet endroit avait fait d’elle une pietà), elle est arrêtée pour n’avoir pas su protéger son enfant mort dans le froid. Dans les premières minutes de cette séquence, les fenêtres se ferment, les cercueils sont emportés, Faust et Marguerite sont l’un et l’autre acculés contre des murs et des parois. La séquence nous replonge en plein romantisme, la misère sociale rappelle un tant soit peu celle que décrit Hugo et la vagabonde figée dans le froid pourrait figurer quelque part au milieu de La Tempête de neige de Goya.

 

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La quatrième et la dernière délivrance que l’on relève n’a plus rien de factice pour Faust. Contrairement aux autres, elle n’est ni le fait du malin, ni celui d’un amour éphémère et correspond à ce que Murnau nous signale comme le véritable amour. Ainsi, Faust choisit Marguerite en dépit du bûcher et le spectateur, en raison d’une ultime ascension et d’un envahissement de la lumière à l’écran, aura tôt fait d’assimiler ce glorieux amour à Dieu. Le dernier baiser dans les flammes est donné dans un cadre en plan rapproché, cadre aux limites aussitôt brisées par le mouvement ascendant de la caméra et par une élévation au-dessus des nuages qui nous amène vers la lumière. Le film se clôt comme il a commencé dans les cieux.

 

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En étudiant à l’intérieur de chaque plan les directions privilégiées par Murnau en terme de lignes et de surfaces, Rohmer donne cette explication : « Tantôt centripètes, tantôt centrifuges, [les mouvements qu’ordonnent Murnau] apparaissent doués d’une efficacité dramatique et d’un pouvoir symbolique certains. Ils signifient expansion, épanouissement, germination, naissance ou, tout au contraire, repli, flétrissure, pourrissement, mort. Ou encore, Bien et Mal, Dieu et Satan, Clarté et Ténèbres. » De là, il dégage deux schémas à forte valeur plastique et dramatique. Le premier est un schéma d’expansion et de contraction qui est exprimé de manière géométrique (un miroir qui se brise et dont les éclats partout se dispersent ou à l’inverse des rideaux qui se ferment avec symétrie). Le second schéma d’attraction et de répulsion se rapporte davantage aux relations entre les personnages et à leur mise en scène (une étreinte entre Faust et Marguerite ou l’église tenant Mephisto à l’écart). Ces schémas, ce que Rohmer précise bien, sont un moyen pour Murnau d’enrichir considérablement ses plans et de « magnifier » les émotions, le sens et la portée des images14.

La correspondance que l’on décèle entre les espaces (clos et ouverts) et le sort de Faust (ses replis et ses élans, ses enfermements et ses délivrances, réels ou symboliques, expressionnistes ou romantiques) peut tout à fait intégrer ces schémas d’expansion-contraction et d’attraction-répulsion qui parfois se relaient d’autres fois se superposent. Ce que nous percevons, c’est donc une autre structure du film également organisée, comme les deux schémas signalés, sur une dualité spatiale, mais alternant cette fois à des moments clefs du film (l’invocation, la jeunesse retrouvée, la rencontre avec Marguerite, le salut) des espaces clos et des espaces ouverts que tour à tour l’expressionnisme et le romantisme habillent.

1 En 1972, Rohmer est alors âgé d’une cinquante d’années, il vient de terminer L’amour l’après-midi qui sort sur les écrans en août. Sa thèse est publiée cinq ans plus tard, en 1977, chez 10/18.

2 E. ROHMER, L’organisation de l’espace…, p. 21.

3 L. EISNER, « Notes sur le style de Fritz Lang », dans Revue du Cinéma, n°5, février 1947 (commenté par Bernard Eisenschitz lors d’une conférence donnée au Forum des images le 19 février 2010). On lira également avec intérêt les pages que Deleuze consacre à la lumière et aux ténèbres chez Murnau et Lang. Il y cite justement la Théorie des couleurs de Goethe comme un « texte de base » sur le sujet, et l’analyse qu’en a donnée Eliane Escoubas dans « L’œil du teinturier », dans Critique, n° 418, mars 1982. G. DELEUZE, Cinéma 1 : L’image-mouvement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, p. 73-82.

4 E. ROHMER, op. cit. p. 28.

5 Ibid. p. 30-31 et p. 105.

6 Ibid. p. 34-39.

7 En outre, Faust est produit en 1926, la même année que Metropolis de Fritz Lang qui est le dernier film à être considéré comme véritablement expressionniste. Voir la liste de ces films sur le site de la Bifi consacré au mouvement.

8 E. ROHMER, op. cit. p. 27.

9 Röhrig avait justement travaillé sur des films expressionnistes comme Le cabinet du Dr Caligari de Wiene (1919) ou Le golem de Boese et Wegener (1920). Et Herlth a beaucoup collaboré avec Röhrig, notamment sur d’autres films de Murnau, Le dernier des hommes (1924) et Tartuffe (1925).

10 La définition de l’expressionnisme au cinéma a toujours posé problème. Voir L. EISNER, L’écran démoniaque, Paris, E. Losfeld, 1965, chap. 1 et 2 et particulièrement p. 16-19 et 26-27. Ou pour une définition plus récente ramenée à une formule simple, J. MOULIN, Cinéma et peinture, Paris, Citadelles et Mazenot, 2011, chap. « Le cinéma expressionniste allemand ».

11 Rohmer s’appuie également sur F. W. Murnau d’Eisner (ed. Le terrain vague, 1964).

12 Claudia Dillmmann, « Tableaux vivants. Le romantisme noir au cinéma » dans C. Fabre et F. Krämer (dir.) , L’ange du bizarre, le romantisme noir de Goya à Max Ernst, catalogue de l’exposition s’étant tenue de mars 2013 à juin 2013 au Musée d’Orsay, Paris, 2013, p. 276-277 p. 283, n. 7. Sans qu’il ne m’ait été possible de consulter son livre, Luciano Berrriatúa, restaurateur de Nosferatu et Faust, offre une présentation détaillée des inspirations de Murnau dans la peinture romantique dans Los proverbios chinos de F. W. Murnau, Madrid, Filmoteca Espanola, 1990.

13 E. ROHMER, op. cit. p. 51-55.

14 Ibid. p. 116-122.

6 commentaires à propos de “Faust, une légende allemande”

  1. Très belle analyse : la référence à l’univers pictural romantique (et inquiétant) de Caspar David Friedrich est justement faite, mais il ne faut pas oublier que ce peintre s’inscrivait aussi dans une logique où c’est Dieu qui se dit partout, y compris dans une nature qui aux yeux de cet artiste était le lieu privilégié de la rencontre de l’homme avec le Créateur, dans une vision panthéiste. La nature, chez ce peintre, est envahissante, mais elle est aussi motif d’angoisse pour l’homme. Et, sans doute, est-ce de constat que naît chez l’homme l’envie de dompter cette nature, de maîtriser cette création « divine », en devenant à moitié le Méphistophélès charmeur délégué par Lucifer et à moitié le jeune savant qui pactise avec le Malin et qui est flanqué par son serviteur Wagner dans l’histoire de Faust, l’un et l’autre tentant d’empêcher le Créateur de rester maître de sa création par on ne sait quelles illusions, sortilèges et artifices.

    L’amour peut-il tout sauver et permettre à l’homme de se racheter, de se libérer de son pacte avec les forces diaboliques ?

    L’emprunt à Caspar David Friedrich ne peut être que celui d’un décor, mais il a forcément moins d’importance quand Murnau passe de l’image d’un instant au mouvement qui est déjà récit. Le réalisateur ne se serait-il pas aussi inspiré du grand illustrateur que fut Gustave Doré, autre représentant d’un « romantisme » qui sait dire plus en une seule gravure que ne le feraient des dizaines de vers dans un poème ?
    François Sarindar

  2. Effectivement, de toute évidence l’ombre des diables et démons de Gustave Doré lorsqu’il illustre L’Enfer de Dante ou Le Paradis Perdu de Milton plane au-dessus de ce film.

    Et pour prolonger le lien, influence de Murnau qui, à son tour, semble laisser sa griffe sur le démon Chernabog dans Fantasia de Disney (1940).

  3. Quand il s’agit de représenter les enfers et ses démons, dans Les enfers, une interrogation filmique (2013), Corinne Vuillaume dit toute l’influence du théâtre de la fin du XIXe siècle, du vaudeville et des féeries orphiques, sur le cinéma du début XXe. De même, le Faust de Gounod (1856) se retrouve par bien des aspects (costumes, maquillage, ton…) dans le cinéma muet des débuts. Dans le Faust de Murnau, le diable n’est pas inoffensif comme (apparemment) chez Gounod mais il ne fait pas peur non plus. Son apparence est même plutôt grotesque (quand elle le décrit -p. 99-, C. Vuillaume rattache son allure à « un geste outrancier » qui doit encore tout aux frasques et à l’ironie de la fin du XIXe). Alors que dans Fantasia, Chernabog est un monstre impressionnant. Physiquement, le diable de Murnau est davantage parent avec tous les diables de forains mis en scène par Méliès et ses contemporains (Le cabinet de Méphistophéles, 1897, La damnation de Faust, 1898…). A cette époque, les tout premiers temps du cinématographe, le fantastique dont la mode s’épuise est fréquemment tourné en dérision, d’où ces danses de diables amuseurs et illusionnistes, presque des faunes païens (p. 25).

    En insistant sur les influences du Romantisme de Faust, l’auteur de cet essai établit comme vous des rapprochements avec les illustrations de Doré, en particulier dans la façon de représenter la nature gigantesque presque infernale, montagnes, vents et forêts (p. 97). A cet endroit, elle cite d’ailleurs Les chagrins de Satan de Griffith (1927) et son diable « muni de longues ailes dans l’esprit de Doré » qui, comme dans Faust, surplombe un village.

    Toujours dans le même livre, on trouve quelques pages sur Fantasia et Chernabog, « relié comme le diable de Murnau aux formes pointues (il fait corps avec la montagne) et à une démesure romantique » (p.126). Doré est à nouveau cité, mais cette fois pour une référence aux harpies quand le démon projette ses « femmes-flammes ».

  4. Bonjour à toutes et à tous,
    C’est toujours une grande joie de vous lire et de vous retrouver, en voyant combien de choses riches naissent des échanges que nous avons ici. Le cinéma doit beaucoup aux représentations graphiques les moins figées et donc les plus évocatrices d’un mouvement en « puissance » : le film est une sortie du cadre du tableau ou des bords du dessin, il est la mise en mouvement, et, à ses débuts, le cinéma s’inspire forcément de son modèle pictural. D’où il me semble qu’il est, sans contestation possible, un royal enfant de cet art. Et, en effet, dans cette puissance expressive, il y a aussi, chez le cinéaste, une étincelle de génie, car cette conscience de jeter un pont entre l’univers statique de la peinture et du dessin et le monde du mouvement et de l’action qui par le cinéma donne de l’intensité aux scènes les plus dramatiques et au genre le plus épique nous rapproche souvent du divin alors même que les ténèbres semblent tout envelopper : efforts dérisoires d’horribles et repoussants personnages, de monstres ou de diables, qui s’activent presque en vain et qui se trouvent à la limite du ridicule. Quand on lit le Faust de Goethe, on se retient à peine de sourire ou de rire face aux marchandages de Méphistophélès, et à ses concessions au goût du jour en matière de beaux habits, qui, en réalité, font de lui un personnage presque grotesque. Aux choses laides à faire peur on finit toujours par opposer la beauté, et Murnau, me semble-t-il, a beaucoup joué de ce contraste.

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