Jacques Bral, 1980 (France)
Bony (André Dussolier qui vient de chez Rohmer, Perceval le Gallois, 1978, et Chabrol, Alice ou la dernière fugue, 1977) dit sa rencontre avec Léo (Gérard Lanvin, pour son premier grand rôle après Une semaine de vacances de Tavernier, 1980). Elle a lieu le 10 mai 1968, « un jeune mec aux cheveux longs à l’air un peu ahuri » lui tend un pavé et puis un autre pour monter une barricade aussitôt démontée par les CRS. Comme la tentative de construire un bout de vie meilleur mais aussitôt saccagé. A présent Bony et Léo, artistes aspirant (l’un écrit, l’autre joue du saxophone), errent dans ces ruines de rêves à la recherche de rien. Mais dans cette histoire, on a aussi l’impression que Dussolier raconte la manière avec laquelle Léo l’a très tôt plombé, pavé après pavé, un fardeau dont il ne s’est toujours pas défait. Léo vient de quitter son boulot et sa copine du moment (dans la première scène, appart à la déco étrange, un peu celle d’Orange mécanique de Kubrick, 1971), alors il tape l’incruste chez Bony, squatte, râle, se fait servir, l’entraîne dans des sorties dont l’autre ne veut pas. Et puis vient Cora (Christine Boisson), rencontre tout aussi fortuite, qui fait le taxi et casse occasionnellement la figure à ses clients pour leur piquer un peu d’oseille. Cora aime bien Bony et Léo, couche un peu avec l’un et avec l’autre, mais c’est pas vraiment Jules et Jim (Truffaut, 1961). Ou alors une version très urbaine, bistrots visités et bitume arpenté de nuit. Une nuit parisienne crasseuse, blanche le plus souvent, que Pierre-William Glenn, le directeur de la photo (notamment pour Truffaut, Marker, Boisset, Tavernier…), saisit avec un gros grain sur une pellicule presque rappeuse (Super 16 gonflé en 35 mm parce que meilleur marché). Les personnages sont paumés, pour ne pas dire largués, dans une France en crise et conservatrice (et selon ce qu’on entend dans le film, un peu conne et raciste aussi). Alors chez la grande bourgeoise, ça se passe forcément mal. La musique jazz (au bandonéon) signée Karl-Heinz Schafer accompagne bien ces êtres qui se cherchent et ont soif d’autre chose, sans vraiment savoir quoi (d’où la tournée des comptoirs ?). Sortir du cul-de-sac sûrement. Et puis lui a peut-être besoin de tendresse, l’autre d’attention, elle d’un ailleurs (alors que pour Léo « ailleurs, c’est la même chose »). Avec de tels personnages et à cette époque-là, on pense à Dewaere et Depardieu dans Les valseuses de Blier (1974), à la bande du Plein de super de Cavalier (1976), Bouchitey en tête, ou encore et à nouveau à Depardieu dans Loulou de Pialat (1980). C’est aussi sauvage, libre, marginal forcément.
Bonjour Ornelune, merci pour avoir évoqué ce film qui a eu pas mal d’écho à l’époque. Cela fait penser qu’on ne voit plus Christine Boisson et c’est dommage. Et Jean-Pierre Sentier manque au cinéma comme quelques autres. Bonne journée.