Naomi Kawase, 2015 (Japon, France, Allemagne)
Les pétales de fleurs des cerisiers commencent à blanchir le sol quand, sous le regard bienveillant de la lune, dans une petite boutique de dorayakis, trois isolés se rencontrent. Sentaro (Masatoshi Nagase [1]), c’est le cuisinier et le gérant peu loquace de la boutique. Wakana (Kyara Uchida) vient de temps en temps avec d’autres lycéennes pour travailler les maths, parler garçons et, comme n’importe groupe d’adolescents, échanger bruyamment avec rires et fausses brimades. Tokue (Kirin Kiki [2]) est une vieille dame que l’on juge d’abord intrusive.
Dans les premiers plans, on voit Tokue arriver à son rythme, lever le nez, s’adresser aux arbres et aux astres comme si elle était une familière des esprits de la nature. Elle s’approche de la boutique hésitante. Sentaro avait passé une annonce pour être aidé derrière les fourneaux et vendre les beignets. Tokue vient pour l’annonce. Elle montre ses vieilles mains déformées mais encore capables. Elle insiste maladroitement… Sentaro est gêné mais lui fait comprendre qu’il ne la prendra pas. Sauf que la recette pour préparer une bonne pâte « an », les haricots confits qui n’ont pas grande saveur dans les doriyakis de Sentaro, n’a pas de secret pour la grand-mère.
Même si on assiste à quelques préparations et dégustations susceptibles de mettre l’eau à la bouche, Les délices de Tokyo n’est pas qu’un film de cuisine. La réalisatrice utilise la pâtisserie comme liant social pour trois personnes momentanément déçues par la vie : la lycéenne qui sent ses chances de faire des études sérieusement compromises, le cuistot criblé de dettes et Tokue touchée par une maladie oubliée, la lèpre, considérée depuis toujours comme une paria et qui souhaiterait avant de mourir profiter enfin de la vie.
Naomi Kawase réalise comme à son habitude un film tout en sensibilité où les plans attentifs au vent dans les feuillages par exemple et à la nature en ville en général sont assez nombreux pour faire oublier l’effervescence et le gigantisme de la capitale qui pourtant est toute proche [3]. Naomi Kawase réalise certainement aussi un de ses films les plus susceptibles de plaire. Entre la saveur retrouvée des dorayakis et le goût retrouvé de la vie, Les délices de Tokyo ne peut en effet laisser tout à fait indifférent.
[1] Masatoshi Nagase vu dans La servante et le samouraï de Yoji Yamada en 2005.
[2] Kirin Kiki vue chez Kore-Eda (Still walking, 2009) ou dans le précédent de Naomi Kawase (Hanezu, 2011).
[3] Le film est tourné un peu à l’extérieur du centre, à Higashimurayama ville moyenne absorbée par la mégapole.
Le cinéma japonais a traditionnellement une approche de la nourriture qui relève du sacré. J’avoue que ta description de ce nouveau Kawase me donne l’eau à la bouche. Reste a voir si j’aurai le temps de passer à table.
Bonjour Benjamin,
C’est en effet un joli film (que j’avais aussi chroniqué). D’un point de vue formel, la mise en scène de Kawase n’est pas aussi maitrisée que celle d’un Kore-eda, mais elle regarde ses personnages avec beaucoup de tendresse et de sensibilité. La fin est très émouvante.
Bonsoir, voici une histoire qui m’a beaucoup touchée. Je l’ai vu deux fois : un vrai plaisir. Bonne soirée.
Le gros défaut du film est à mon sens sa deuxième partie, dans laquelle Kawase explicite assez lourdement tout ce qui coulait de source lorsqu’elle filmait délicieusement la cuisine dans la première partie. Cette relation mère/fils qui se créait, on la voyait prendre vie, on n’avait pas besoin de la surligner de la sorte. C’est vraiment dommage parce que personnellement ça a tari toute émotion.
Mais le début, miam miam.
Exquise adaptation du très beau roman de Durian Sukegawa, très émouvante.