Gustav Ucicky, 1935 (Allemagne)
L’Autrichien Gustav Ucicky signe un contrat avec l’UFA dès 1929 et devient après 1933 un cinéaste officiel du régime nazi. Pourtant, Das Mädchen Johanna n’est pas un film ouvertement propagandiste comme l’est par exemple Heimkehr (1941) * ou Le jeune hitlérien Quex (Steinhoff, 1933) **. Seuls les Anglais que l’on voit dans le premier tiers du film sont ridiculisés. John Talbot, comte de Shrewsbury, a les caractéristiques du vil personnage (Erich Ponto) : les sourcils froncés et les cheveux qui retombent en piques sur le front, il est braillard et geignard. Le duc de Bourgogne qui lui sert d’acolyte n’est pas non plus à son avantage : c’est un gros bonhomme aux moustaches épaisses et à l’allure comique. Tous deux dans leur tente tuent par inadvertance l’un de leur meilleur soldat, ce qui achève de les faire passer pour de véritables bouffons. Les Français s’en tirent mieux. Mais le roi Charles est pâle et maniéré et n’a vraiment rien du grand souverain (Gustaf Gründgens). Le chevalier français Maillezais a davantage de vertus, intrépide et fidèle, il paiera plus d’une fois son engagement aux côtés de Jeanne. Jeanne d’Arc (Angela Salloker) est quant à elle toute frêle mais son visage lisse capte toute la lumière. Elle n’a rien d’une combattante et déjà tout d’une sainte.
Le film s’organise autour de quatre moments forts : on assiste d’abord à quelques scènes durant le siège d’Orléans en avril 1428 (dont la scène de torture de Maillezais envoyé pour négocier et reparti mutilé au tisonnier par les cruels Anglais) jusqu’à la très religieuse rencontre entre Charles et Jeanne (halo de lumière, chant religieux, archanges et saints en renfort), le sacre à Reims en juillet 1429 sans véritable faste, Jeanne en armure et avec une couronne de fleurs dans une position assez conforme aux représentations dix-neuviémistes puis la peste déclarée et les Anglais à Soissons qui marquent un brusque retournement d’opinion contre Jeanne, le bûcher en mai 1431 et enfin en guise d’épilogue sa réhabilitation toujours sous Charles VII en 1456. La dernière image du film montre l’encens projeté au-dessus d’un tombeau et après un mouvement vers le ciel une couronne d’épine apparaît dans les nuages et se transforme en une couronne de fleurs.
Dans Das Mädchen Johanna, la politique développée n’est réduite qu’à de très cyniques calculs où Talbot déclare que « la politique n’est qu’affaire d’occasions » tandis que le roi de France, lui, avoue avoir fait de Jeanne un simple « outil ». Finalement, à travers ce film, plus que la reprise d’un mythe nationaliste français, l’UFA fait surtout valoir une politique d’intérêts, un merveilleux chrétien un peu grossier et une imagerie médiévale qui est à l’occasion reprise dans la propagande national-socialiste. Au final, une intrigue faiblarde, des incohérences, le film est vite ennuyeux et sans intérêt.
* Heimkehr est visible sur The Internet Archive.
** Si l’on excepte les deux documentaires de Leni Riefenstahl (Le triomphe de la volonté en 1934 et Les dieux du stade en 1936), avant la guerre, les films nazis privilégient les œuvres de divertissement pour toucher un large public. D’ailleurs, le 15 février 1941, Goebbels expliquait encore à la Chambre cinématographique du Reich le rôle pédagogique du cinéma et la nécessité « d’agir selon le principe que l’intention ne doit pas être remarquée si l’on ne veut pas ennuyer ». Voir Claire Aslangul , « Guerre et cinéma à l’époque nazie », Revue historique des armées, n°252, 2008, mis en ligne le 6 août 2008 et consulté le 6 novembre 2012.
Le film, sorti en 1935, respire la propagande anti-britannique et ne présente aucun intérêt sur le plan historique. On y voit une Jeanne qui certes est assez jolie mais qui est aussi très naïve. Elle fait la connaissance du roi dans une rue où il manque d’être pris à partie par la foule et ne se la rallie qu’en donnant à Jeanne une occasion de s’illustrer.
Les scènes inutiles sont nombreuses, on s’attarde sur des choses sans importance, et pour le reste il y a des amalgames, des raccourcis et des mélanges de situations et de dialogues qui font que ce film et son réalisateur frisent plusieurs fois le ridicule à force de donner dans le grotesque ou dans l’imagerie saint-sulpicienne.
On invente même une entente entre les capitaines et La Tremoille pour perdre Jeanne que seul Alençon et le Bâtard d’Orleans semblent vouloir défendre et sur qui l’on jette des aliments lors d’un banquet donné en présence du roi. Scène absurde.
On sait bien que la Pucelle ne fut pas aimée par tous et que certains la jalousèrent et que même le Bâtard d’Orleans ne fut pas toujours exemplaire. Mais enfin pourquoi en rajouter ?
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Ucicky expédie la scène du bûcher, et nous montre le ciel, sur lequel vient se détacher une couronne d’épines, symbole de la Passion du Christ, à laquelle on rattache le martyre de Jeanne, et à cette sanglante couronne se substitue bientôt une couronne de fleurs, marque de la pureté, de l’innocence et de la virginité de la jeune victime.
Le film ne s’achève d’ailleurs pas avec la mort de Jeanne en 1431 mais pousse jusqu’en 1456 et au procès de réhabilitation auquel on montre par erreur que Charles VII assista, car il se garda bien d’y paraître et se contenta juste de le rendre possible pour soigner sa propre image, mais cela nous vaut néanmoins la mise en images vivantes qui nous fait immédiatement penser à la représentation célèbre d’un lit de justice tenu et présidé par le roi. Ce n’est pas le moindre paradoxe de ce film d’allier le beau à la laideur.
Au-delà des critiques sur la forme, le fond, le contenu douteux et les propos condamnables prêtés aux personnages, ce film présente malgré tout quelques petites qualités stylistiques, ce qui se voit dans l’effort de recherche pour le choix et le dessin des costumes (à défaut des armures). La propagande nazie s’entendait à mêler à son odieux et criminel discours un certain esthétisme, on l’a vu par exemple dans Le triomphe de la volonté, qu’une réalisatrice connue offrit comme un cadeau au maître tyrannique du IIIe Reich.
Je plains la pauvre Jeanne d’avoir été utilisée par ce régime abominable. A quelle sauce cette jeune fille n’aura pas été accommodée ?!
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Les Français ne sont guère mieux lotis que les Anglais dans le film d’Ucicky qui est aussi assez francophobe : les gouvernants y sont présentés sous des traits peu flatteurs, y compris le roi Charles VII, qui n’est jamais que le jouet des nobles, des favoris et des conseillers, au premier rang desquels on trouve bien sûr le grand opposant de Jeanne, La Tremoille ou La Tremouille qui devait son entrée à la cour au connétable Arthur de Richemont, lequel dut se mordre les doigts d’avoir introduit le loup dans la bergerie car il entra en disgrâce auprès du roi pendant des années. Plus tard, Richemont reviendra sur le devant de la scène, une fois La Tremouille écarté, et il chassera les Anglais de l’Ile-de-France et de la Normandie, continuant l’œuvre entreprise par Jeanne.
Cette dernière ne sert que de prétexte à Ucicky pour faire œuvre de propagande contre l’Angleterre et la France, en montrant que son pays devait ses déboires au fait qu’il était divisé contre lui-même, et de fait la France l’était au XVe siècle du fait de la querelle dite des Armagnacs et des Bourguignons. Jeanne sert donc le propos d’Ucicky qui sans le dire fait ainsi un vilain parallèle entre la Pucelle et Hitler lequel passait alors et se faisait passer pour le sauveur du peuple allemand. On sait ce qu’il en fut… Quel dommage que notre héroïne, qui n’a rien à voir avec la barbarie nazie, ait été embrigadée malgré elle par la machine à propagande de Goebbels. Voilà pourquoi ce film me fait de la peine. Mais l’on ne peut faire comme s’il n’avait jamais existé.
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Une autre lecture du film d’Ucicky semble valoriser au contraire Charles VII, qui ne semble pas aussi laid ici qu’il paraît l’avoir été quand on regarde le portrait très personnalisé qu’a fait de lui Jean Fouquet. Ucicky n’aurait-il pas cherché à faire transparaître à travers lui une image du parfait nazi, en ce sens que Charles VII pourrait lui aussi être comparé à Hitler se séparant (et éliminant) le chef des Sections d’Assaut Ernst Roehm comme Charles VII avait finalement lui aussi réussi à se défaire (moins violemment) de La Tremouille. Le film semble nous inviter à faire aussi ce parallèle. Mais je reste blessé de l’exploitation de l’image de Jeanne par le cinéma hitlérien.
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Détail qui fera sourire tous ceux qui connaissent l’histoire de la captivité de Jeanne : Ucicky nous montre une salle en rez-de-chaussée, avec une Pucelle exposée à la curiosité de la foule. Elle est assise, enchaînée au sol.
En réalité, elle se trouvait un niveau au-dessus, dans la tour dite Devers les champs, sur l’enceinte du château et de la ville un peu à gauche du donjon du Bouvreuil, et elle disposait d’un lit tout juste confortable dans la partie gauche de la salle où elle était retenue prisonnière, mais avec des entraves métalliques raccordées par une chaîne à un pieu de bois très solide.
On sait enfin qu’elle était surveillée derrière une cloison en bois percée par endroits pour observer ses faits et gestes. Aujourd’hui, je pense que les cinéastes feraient plus attention à de tels détails.
François Sarindar