Chiens errants, Les (Jiao you)

Tsai Ming-liang, 2012 (Taïwan)


LE HURLEMENT SILENCIEUX


Couronné à la Mostra de Venise 2013, Les chiens errants du réalisateur malaisien Tsai Ming-liang est une expérience d’immersion qui de la lenteur va faire émerger le sens. Déconcertant de prime abord, ce rythme retenu n’aura pour but que d’éveiller des émotions, en saisissant les moments les plus terribles de la misère. Appuyé par une réalisation épurée, Les chiens errants impose une mélodie qui n’est jamais synonyme d’ennui.

Un père et ses deux enfants. La mère est absente de la pellicule. Ils vivent en marge de Taïpei. Le film les suit entre les bois et les rivières de la banlieue et les rues pluvieuses de la capitale. Le jour, le père gagne chichement sa vie en faisant l’homme sandwich pour des appartements de luxe, pendant que son fils et sa fille hantent les centres commerciaux à la recherche d’échantillons gratuits de nourriture. Chaque nuit, la famille trouve refuge dans un immeuble abandonné.

La première chose qui frappe, c’est le parti pris du réalisateur. Pendant deux heures, Tsai Ming-liang propose presque uniquement des plans fixes, certains pouvant durer une vingtaine de minutes. Si d’aucuns verront dans cette mise en scène une manière efficace de faire passer un message d’une beauté purifiée, beaucoup ne parviendront pas à franchir l’obstacle de cette réalisation atypique.

UNE FAMILLE AUX ABOIS
Même si le rythme est d’une extrême lenteur, c’est finalement lui le personnage principal. Certes, l’histoire prend le temps de se dérouler devant nos yeux, mais c’est pour mieux nous habituer aux enjeux difficiles auxquels est confrontée cette famille à part. Les émotions ressenties par les personnages sont diluées au compte-gouttes, se faisant de plus en plus rares au fur et à mesure que le film avance. Les plans-séquences prennent alors un sens différent, passant du premier sentiment d’esbroufe cinématographique à celui d’un formidable révélateur de sensations. Enrobé de mélancolie et de délicatesse, le long métrage de Tsai Ming-Liang est une douceur qui se savoure sur la durée, qui laisse parfois échapper une pointe d’acidité nous rappelant à la dure réalité de la vie.

Les chiens errants est donc une œuvre totalement épurée, qui joue la carte de la contemplation, parfois à l’extrême. Les chiens errants du titre se font entendre sans parler, hurlent sans crier, se cachent en plein jour et mordent par leurs regards. Même s’il est évident que le dernier long métrage de Tsai Ming-liang aura droit à son lot de détracteurs, il est important de saluer l’authenticité de cette œuvre singulière.





Adrien Léger, pour Preview,
dans le cadre de la 35e édition du Festival des 3 Continents.

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