Chicago

Rob Marshall, 2003 (États-Unis)




Dans les années 1930, Chicago vit autant au rythme des coups de flingues que celui, très jazz, de la grosse caisse et du charley. Le synopsis se résume à une de ces petites affaires criminelles pour lesquelles presse et public ont pu se passionner à l’époque mais qui surtout, selon l’opinion courante, prennent aujourd’hui pleinement part à l’identité de la ville. Rob Marshall ne s’intéresse donc pas tant au simple « rise and fall » de Roxie Hart, jolie jeune femme qui rêvait des lumières des projecteurs et qui n’a eu droit qu’à l’ombre d’une cellule, qu’à ce qu’il désigne comme l’essence même de la célèbre métropole nord-américaine : crimes et spectacles associés. Plus qu’un film sur de banales criminelles et plus qu’un film de procès, Rob Marshall réalise une très bonne comédie musicale… and all that jazz !

Renée Zellweger/Roxie Hart et Catherine Zeta-Jones/Velma Kelly nous plaisent en danseuses un peu vulgaires, dans leur complète panoplie des années folles (cheveux assez courts, l’une blonde, l’autre brune, en bas résille, longs colliers de perles et robes noires dont les franges s’arrêtent aux genoux), prêtes à tout pour devenir stars. Richard Gere, que je n’ai jamais trouvé très brillant, tient en Billy Flynn un de ses meilleurs rôles. Il est un avocat « philanthrope » (chanson All I care about) et très manipulateur. Le numéro de marionnettiste est très bon. L’avocat s’arrange avec son client et joue avec une presse dépourvue de tout sens critique. En effet, elle se contente de retranscrire mot pour mot ce qui lui est dicté (We both reached for the gun) et sert ainsi la plaidoirie de la défense.

Pourquoi sont-ils tous à un moment ou à un autre sur scène, mari cocufié compris ? Parce que Chicago ne fonctionne que par le spectacle et chacun peut y donner son numéro (dans les cabarets certes, mais aussi au tribunal et en prison). Seulement, toutes les filles ne peuvent être en même temps meneuses de revue et, pour elles, les vicissitudes d’un public constamment attiré par le neuf et friand de sensationnel sont parfois tristes. En prison, alors que Roxie et Velma se disputent la vedette, une certaine Kitty Baxter (Lucy Liu) fait son apparition. Les projecteurs se braquent un moment sur la nouvelle, impliquée dans une affaire plus excitante encore que les précédentes. Nos deux garces, brune et blonde, vont devoir faire mieux…

La réalisation est simple mais fonctionne tout à fait. Elle consiste notamment en un montage alterné de scènes « classiques » et de passages chantés et dansés, les seconds étant une mise en spectacle des premières. Les chansons et les chorégraphies sont au cœur du métrage et relèvent de leurs rythmes, de leurs couleurs et de leurs ambiances la terne réalité de l’histoire. Les raccords transforment ainsi un coup de pied en pas de danse ou un discours d’avocat improvisé en un fabuleux solo de claquettes. Le dynamisme du montage imposé par des plans très courts et leur rapide enchaînement ne prend jamais vraiment la désagréable forme du clip, si gênante dans des réalisations comme Moulin Rouge (2001) ; le style de musique ainsi que la vitesse de succession des plans, plus grande chez Baz Luhrmann, y sont certainement pour quelque chose. Visuellement, plusieurs idées sont heureuses. Par exemple, le foulard rouge (ou blanc) dans la chorégraphie des six tueuses jeunes et sexy (Cell block tango). Lorsque les décors sont factices et lorsqu’ils sont réduits au minimum (l’énorme nom de Roxie en lettres rouges), le réalisateur semble directement puiser dans les mises en scènes des comédies musicales des années 1950 qui sont des sommets du genre (au-dessus des autres et sorti en 1953, Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly).

Même si ni Renée Zellweger, ni Catherine Zeta-Jones n’est Ginger Rogers et Richard Gere encore moins Gene Kelly, même s’il manque une véritable chorégraphie dansée commune au rôle masculin et au moins à l’un des deux rôles féminins (revoir Tous en scène de Vincente Minnelli, 1954 et surtout des perles telles que « Dancing in the dark » entre Cyd Charisse et Fred Astaire ou le même duo dans le bar de malfaiteurs), Chicago nous entraîne dans son euphorie musicale et sociétale. Et puis ne reprochons pas à Renée, Catherine ou Richard de ne pas être danseurs de formation, voire danseurs tout court. Les seconds rôles méritent aussi un compliment. John C. Reilly n’est pas mal du tout en Mister Cellophane et Queen Latifah extra en bonne Mama des prisons. Chicago est une petite explosion visuelle mais ne se contente pas d’un simple décor. La métropole du crime et du music-hall, qui semble constamment être éclairée par le crépitement de flashes des photographes, est dépeinte avec cynisme et sa faillite judiciaire évoquée. De plus, et il ne s’agit pas d’un détail lorsque cela concerne le genre musical, les chansons ont fait leur preuve depuis leur création par Bob Fosse en 1975 (certaines ont même été ici réarrangées par Danny Elfman). Rob Marshall nous invite au cabaret, pourquoi refuser ?

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