Chercheuses d’or de 1933 (Gold Diggers of 1933)

Mervyn LeRoy, 1933 (États-Unis)

The Gold Diggers of 1933 est une comédie musicale née d’une pièce à succès, The Gold Diggers d’Avery Hopwood jouée à Broadway en 1919. Elle fut ensuite adaptée à deux reprises au cinéma, la première par David Belasco en 1923 (The Gold Diggers), la deuxième par Roy Del Ruth en 1929 (Gold Diggers of Broadway). Il semble qu’en 1933, alors que la Grande Dépression s’est installée, le contexte apporte au récit davantage de teneur et parfois, dans le numéro introductif notamment, de dureté.

Les Chercheuses d’or de 1933 s’ouvre donc sur We’re in the Money chantée par Ginger Rogers (qui n’avait pas encore tourné avec Fred Astaire ; le duo se forme sous la direction de Thornton Freeland dans l’extraordinaire Carioca, 1933). Rogers est habillée d’une tenue en pièces de monnaie et, avec elle, un chœur de filles se déplace au milieu d’un décor de pièces de monnaie géantes sur lesquelles on peut lire « In Gold we trust ». Les paroles de la chanson déclarent le bonheur revenu car l’argent à présent coule à flot (« Let’s lend it, spend it, send it rolling alon »). Tout dans ce numéro brille comme l’or et les filles sont superbes et superbement exposées. En cette période de crise, s’il avait encore les moyens de se payer une séance de cinéma, l’Américain peu aisé avait tout dès les premières minutes du film pour se mettre à rêver à nouveau, ou s’effondrer de désespoir.

Mais les filles sur scènes pourraient bien compter parmi ces malheureux qui vont au cinéma pour oublier leurs soucis. Elles chantent la gloire des dollars retrouvés et, d’un coup, c’est l’effondrement, comme si on était passé de la joie d’après guerre au krach boursier. La police fait irruption, le spectacle est annulé pour dettes impayées, et les danseuses jouées par Ruby Keeler, Joan Blondell, Aline MacMahon et Ginger Rogers, se retrouvent à pleurer sur leur sort dans l’appartement partagé. Ses aspects font penser à Pension d’artistes (Stage Door) de Gregory Lacava (1937) dans lequel Ginger Rogers partage chambre et soucis avec Katharine Hepburn et d’autres filles. Ainsi, la première scène rejoue à sa manière la crise de 1929.

Au moment des Chercheuses d’or de 1933, Mervyn Leroy ne travaille pas comme réalisateur depuis très longtemps. Son tout premier film, une comédie musicale intitulée No place to go, date de 1927. Cependant la cadence industrielle des studios (ici Warner Bros) est telle à cette époque que Les Chercheuses d’or est déjà son vingt-huitième film. L’autre personne fameuse à la réalisation est Busby Berkeley qui conçoit les quatre grandes scènes musicales de la comédie et dont on reconnaît très rapidement la touche : danseuses nombreuses, chorégraphies très inventives jouant de symétrie et de géométrie, et la caméra qui tantôt passe d’une showgirl à l’autre, tantôt se hisse quelques mètres au-dessus pour des vues plongeantes ou des plans d’ensemble saisissants.

Les Chercheuses d’or offre des numéros dansés singuliers, dans le style donc très abouti de Busby Berkeley. L’art cinétique du chorégraphe laisse néanmoins une drôle d’impression. Sans développer sur les effets d’optique et d’hypnose (les girls ondulant les unes derrières les autres…), ou sur l’érotisme d’une scène (les ombres chinoises de Pettin’ in the Park chanté par Ruby Keeler et Dick Powell -érotisme sur lequel insiste les photographies et les affiches de promotion-), c’est tout autre chose qui nous vient à l’esprit en voyant le travail réalisé par l’ancien étudiant en école militaire, puis ancien combattant de la Grande Guerre, finalement devenu le chorégraphe incontournable à Hollywood des années 1930 et 1940. Parce que les danseuses portent les mêmes costumes et répètent toutes les mêmes mouvements (en général sans se déplacer beaucoup), la caméra toujours allant et venant vers elles (plan de coupe, zoom, travelling), Berkeley fait de nous les spectateurs d’une sorte de « ballet tayloriste ». Les filles sont uniformisées, pour ne pas dire standardisées. Elles sont surtout marchandisées. La répétition des gestes et les défilés (comme sur les tapis roulant au sol qui fait circuler les danseurs dans le dernier numéro) évoquent le travail à la chaîne. C’est pourquoi, à une époque où le cinéma tourne à plein régime comme dans l’industrie automobile des années 1920, Busby Berkeley semble s’adonner à une industrialisation même de l’esthétique cinématographique, un peu comme l’aboutissement d’un système qui se déployait jusque dans la forme de ses produits et alors que Charlie Chaplin n’en a pas encore dénoncer les perversions dans ses célèbres Temps modernes (1936).

Le scénario peut paraître un brin décousu jusqu’à éventuellement donner l’impression d’un collage. Par exemple, on commence le film avec Fay (Ginger Rogers), mais le récit la délaisse pour ne plus porter que sur le couple Polly et Brad (Ruby Keeler et Dick Powell). De même, une intrigue veut faire planer un doute sur la réelle identité de Brad, mais à part deux allusions, on passe rapidement à autre chose. Ces défauts ne sont pas gênants et la dernière mise en scène chantée et dansée les balaye sans difficulté.

Dès les premières paroles de Remember My Forgotten Man, Joan Blondell nous captive. Appuyée par la contralto Etta Moten au refrain (que l’on retrouve au chant dans Carioca), la chanson prend plus de gravité et d’ampleur. Les images sont en parfait raccord. Quand la caméra quitte la rue aux allures expressionnistes et fixe les gens à leur fenêtre, les images rappellent les photographies de Dorothea Lange. Puis, le numéro se déploie en une évocation de la guerre, le retour des soldats oubliés et plongés dans la détresse, passant des files de blessés à celles des soupes populaires. Le final est à la fois grandiose et sensible, lorsque le chœur dans la déploration accompagne Joan Blondell qui réclame qu’on lui rende son homme brisé. Face à elle, la foule des pauvres tend ses bras. On peut alors repenser au premier numéro et au contraste offert entre le début et la fin du film. Quand les filles chantaient et dansaient au milieu des dollars et dans une insouciance qui ne pouvait être que tout à fait fictive en 1933.

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