Chatroom

Hideo Nakata, 2010 (Royaume-Uni)




SOUS MAUVAISE INFLUENCE
Dans Ring (1997), le Japonais Nakata donnait une terrifiante réalité au corps d’une jeune fille qui sortait d’un poste de télévision. Le mal était alors diffusé par le biais d’une cassette vidéo visionnée. En 2010, le mal, toujours lié aux écrans de nos foyers, provient cette fois-ci de l’Internet. L’accès simplifié et quotidien à la toile, ainsi que la familiarité développée avec les outils de communication qui permettent de naviguer en son sein, rendent l’objet d’autant plus pernicieux. Nakata, qui reçoit le scénario qu’Enda Walsh adapte de sa propre pièce de théâtre, semble avoir été sensible à l’idée, peut-être aussi parce que les faits divers qui impliquent des jeunes gens abusés ou poussés au suicide par des relations contractées sur la toile sont au Japon plus anciens, plus nombreux ou plus médiatisés (?) qu’en Europe. L’appropriation cinématographique du phénomène n’est pourtant pas neuve : dans Kaïro de Kyoshi Kurosawa (2001), qui n’était pas non plus le premier sur le sujet, l’horreur se propageait déjà à travers les circuits informatiques. Toutefois, à lire ou à entendre les entretiens donnés par Hideo Nakata, la motivation qu’il a eu à faire le film vient bien de cette inquiétude vis-à-vis des adolescents qui utilisent Internet et négligent ses dangers. L’énergie du réalisateur étant réduite à la seule responsabilité citoyenne, un élan comparable à celui d’une association ou d’un ministère soucieux de produire une campagne de prévention, la dimension artistique n’était-elle pas condamnée d’avance ?

ADOS FÊLÉS
Enda Walsh développe son récit autour de cinq adolescents qui, dans le film, n’ont de personnalité révélée que par un déficit affectif (Aaron Johnson*, Imogen Poots** et Matthew Beard), un manque de reconnaissance sociale (Hannah Murray) ou bien une préoccupation sexuelle (Daniel Kaluuya). C’est assez naturellement que ces jeunes pensent effacer leurs troubles en participant à des forums de discussion sur Internet. Ils font de ce qu’ils haïssent le sujet privilégié de leurs échanges. Enda Walsh cite volontiers Sa Majesté des mouches de William Golding comme référence. Il n’est pas réellement question de totalitarisme chez Nakata mais d’un groupe de jeunes virtuellement réunis dans un espace isolé et au sein duquel émergent les instincts primaires. Le personnage d’Aaron Johnson cherche en effet à affirmer son pouvoir sur de plus faibles que lui en croyant ainsi compenser la misère d’une situation familiale qui le rend impuissant.

RATAGE FORMEL
L’échec de Chatroom, s’il est en partie imputable à la gentille motivation du réalisateur ainsi qu’aux lieux communs occupant une place étendue dans le film, est également dû à sa forme. Alors que dans une ambiance âpre, au cœur d’une ville à la fois vieillie et futuriste, Mamoru Oshii optait pour une confusion des mondes virtuel et réel (Avalon, 2001), Nakata, lui, choisit de distinguer l’utopique cyberespace de la triste réalité en inscrivant son film dans une dualité simplificatrice. Le pixel est donc fluo et saturé, tout à l’inverse de l’extérieur. De même, cette logique atteint les personnages dont les avatars changent de coupes de cheveux ou de regards. Si les effets visuels (ainsi que la bande son) insiste sur l’attractivité de la toile, n’y a-t-il pas cependant contradiction avec l’état d’esprit des victimes et leur manque total de discernement ? D’autres partis pris sont source d’incohérences (le cloisonnement des forums de discussion, l’interaction des personnes dans ces espaces, les courts métrages d’animation…). Enfin, une personne devant un écran ne pouvait-il pas être pour Nakata l’occasion de réfléchir à la puissance du hors champ, à l’attraction des individus distants et virtuels préférés aux êtres proches et réels ?

Au fur et à mesure du film, le sujet perd tout potentiel et, le scénario qui manquait sérieusement d’attrait, se détériore avec l’apparition d’un pistolet. Dans sa dernière partie, Nakata oublie la problématique des écrans et prend soin d’éliminer le manipulateur tout en sauvant les victimes. Si à la diffusion de Chatroom, l’écran n’est plus le cadre duquel se déversent horreurs et souffrances, il est assurément une source d’ennui.





* Dont la belle gueule partout s’affiche en 2010 : Kick-Ass de Matthew Vaughn et Nowhere boy de Sam Taylor-Wood.

** 28 semaines plus tard, Fresnadillo, 2007, Fright night, Gillepsie, 2011…


Note publiée sur Kinok en décembre 2010.

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