Michel Gondry, Leos Carax, Bong Joon-ho, 2008 (Allemagne, France, Corée du Sud, Japon)
Deux réalisateurs français et un réalisateur sud-coréen proposent chacun, dans ce projet commun, un court métrage autour de la mégapole tokyoïte tourné au cœur de la capitale. Si les trois petits films ne se ressemblent pas, ils s’enchaînent toutefois sans véritable désaccord.
Dans Interior design, Michel Gondry nous parle d’un couple de Japonais venu à Tokyo pour trouver du travail. Lui (Ryo Kase), jeune cinéaste farfelu, est le seul à être motivé dans ses recherches. Sa compagne (Ayako Fujitani), elle qui paraissait plus mature, est plutôt désabusée. Elle aimerait se rendre utile mais sans trop savoir vers quelle activité se tourner. Elle est un peu perdue, cumule maladresses et bêtises et finie par n’être plus qu’une chaise. Elle disparaît de la vue des gens et se transforme soudainement en une chaîse en bois. Le fantastique avant d’être réel est annoncé par les histoires imaginées par le petit copain (les fantômes plats qui circulent entre les maisons notamment). Merde de Leos Carax est peut-être le moins accessible des trois courts. Un individu (Denis Lavant) à la drôle d’allure (borgne, barbe rousse, costume vert ; on peut le croire tiré d’un manga), annoncé par le croassement d’un corbeau, sort des égoûts de Tokyo et parcourt les rues pour y semer la terreur et la mort. Il se nourrie de billets et de pétales de fleurs, vole et tue à coup de grenades. On l’appelle Merde. Le thème musical qui accompagne sa première apparition est celui de Godzilla (Ishirô Honda, 1954), ce qui nous incite à comparer cette vile personne avec le monstre historique japonais. La seconde moitié de ce métrage suit le procés de Merde épaulé par un avocat borgne à la barbe rousse (Jean-François Balmer). Le dernier court réalisé par Bong Joon-ho s’intitule Shaking Tokyo et met en scène un hikikomori* (Teruyuki Kagawa) qui a renoncé depuis onze ans à sortir de son appartement. Pourtant, un jour, le regard posé sur une livreuse de pizza et le tremblement de terre qui s’ensuit et les secoue à tous deux, le conduisent à sortir de chez lui… La réalisation de Bong Joon-ho offre des plans qui saisissent par leur agencement et par l’utilisation de la profondeur de champ. Par exemple : un gros plan sur le visage clair de la jeune fille à terre, puis à l’arrière-plan, une première mise au point sur une pile d’objets bien rangés, et, encore au fond de l’image, une seconde mise au point sur l’homme assis dans l’ombre sur une marche d’escalier, le tout lié en un lent panoramique vertical. Relevons une autre idée brillante : l’homme qui secoue avec force la poigne d’une porte pour l’ouvrir relayée dans son tremblement par une secousse sismique.
Les trois segments qui composent Tokyo ! se rejoignent en plusieurs points et c’est surtout dans ces points communs qu’il faut chercher à cerner la mégapole japonaise. Le fantastique tout d’abord caractérise ces trois parties : femme-chaise dans Interior design, horrible créature dans Merde, comportements étranges et décors oscillant entre vide (les rues désertes) et plein (l’appartement encombré mais méticuleusement rangé) dans Shaking Tokyo. L’aspect high-tech de Tokyo n’est pas abordé et les trois cinéastes ont privilégié l’ambiance surnaturelle que leur inspirait cette ville gigantesque. Ensuite, l’isolement chronique des habitants (Interior design et Shaking Tokyo) et la panique des foules (Merde et Shaking Tokyo) semblent souligner les difficultés relationnelles d’une population importante concentrée dans des espaces exigus (l’agglomération compte près de 34 millions d’habitants). Chaque individu, menacé par l’incommunicabilité et la déshumanisation, paraît noyé dans la masse. Les trois cinéastes sont des étrangers mais leur perception de la capitale japonaise a quelque semblant de vérité.
* Selon les termes de Bong Joon-ho dans un entretien réalisé pour Madmovie : « Le mot hikikomori est ainsi la contraction de deux termes japonais signifiant »tirer » et »enfermer », pour désigner ces gens qui se retirent à l’intérieur de quelque chose. »