Stanley Donen, 1957 (États-Unis)
Quatre ans après Chantons sous la pluie, Stanley Donen réalise un film avec Fred Astaire autour du joli minois d’Audrey Hepburn, et dans lequel le monde de la mode est croqué avec moquerie. Même si, lors d’une scène ou deux, il s’égare un peu (j’ai dit un peu) dans la mièvrerie, Drôle de frimousse reste amusant, jazzy à souhait (les chansons sont signées des frères Gershwin) et plein d’inventivités.
Dans sa forme, le métrage adopte une épure et un design qui paraissent toujours aussi modernes aujourd’hui, beaucoup de blanc et quelques couleurs vives sur les modèles ou les décors mis en valeur. Le beau générique d’introduction en est un parfait exemple (presque à la manière d’un magazine feuilleté), les robes de Miss Hepburn sont par ailleurs des créations de Monsieur Hubert de Givenchy, « s’il-vous-plaît » (en français dans le texte). Les bureaux du Quality magazine, dans lesquels nous pénétrons en caméra subjective tout en suivant sa très dynamique directrice (le spectateur est alors pour un instant à la place d’une assistante) sont assez incroyables : un hall blanc en demi-cercle, deux larges bureaux d’accueil et à l’arrière plan six portes multicolores qui seront claquées simultanément par six employées prêtes à exécuter les directives qui lanceront la mode de demain : du rose ! du rose partout ! La première scène chantée est une merveille : shampoing, dentifrices, ballons, mannequins en robes et maillots roses en mouvement, sur fond blanc, puis arrêtés comme sur des photos, toujours à la manière de pages publicitaires. Peintres et employées de la revue de mode prennent ensuite le relais pour une chorégraphie qui se clôt sur une directrice une fois de plus triomphante.
Fred (et pas Gene), Audrey (et pas Leslie), Paris c’est Paris, Drôle de frimousse en 1957 correspond pleinement avec Un Américain à Paris de Minnelli sorti en 1951. Non seulement il raconte une romance dansée et chantée à Paris (moins dansée dans le film de Donen toutefois), mais ils lient ensemble aussi dans un même contexte d’après guerre les États-Unis et la France. De plus, dans les deux films, la musique est signée George Gershwin. Le titre S’wonderful est même repris (la chanson avait été écrite pour la comédie musicale Funny face donnée à Broadway en 1927 et chantée alors par Adele Astaire, la sœur de Fred, et Allan Kearns ; le titre fut repris par Gene Kelly et Georges Guétary dans Un Américain à Paris). On notera une différence seulement : dans Drôle de frimousse, les décors parisiens n’en sont plus tout à fait puisque le tournage s’est fait en extérieur alors que le Paris de Minnelli n’est qu’un simulacre de studios. Il est vrai que la Nouvelle Vague était passée par là.
Audrey Hepburn est libraire dans une boutique qui sent la poussière. Sa drôle de frimousse est repérée par Fred Astaire, photographe qui en fait la nouvelle égérie de Quality magazine (chouette scène chantée entre les deux stars dans la lumière rouge du labo photo). Un voyage est organisé à Paris pour la promotion d’une nouvelle collection, la petite vendeuse de livres doit en être le principal modèle. A Paris, les clichés fusent, que ce soit le Paris des monuments célèbres, celui de la mode ou celui des intellectuels, mais Stanley Donen s’en amuse (le plaisir inavoué d’aller visiter la capitale à peine descendus de l’avion : « Bonjour Paris ! »). Dans la France de René Coty, ce n’est pas l’existentialisme mais l’« empathicalisme », pseudo-doctrine philosophique vue comme une mode, qui subjugue la jeune libraire improvisée mannequin. Montmartre et ses clubs de jazz et de philosophie sont plein d’étrangeté : on s’y plaît à voir Audrey Hepburn exécuter une danse incroyable. C’est une comédie musicale hollywoodienne avec un happy end de rigueur, c’est en Technicolor, c’est à la fois classique et moderne, avec la merveilleuse Audrey Hepburn et le grand Fred Astaire, c’est suffisant pour (beaucoup) plaire !
Et c’est dans ce film qu’Audrey a pu enfin se libérer du carcan de ses nombreuses années de danse classique.
Je dis peut-être une bêtise, mais c’est dommage que le cinéma n’ai pas profité de l’actrice pour cette formation classique justement.
Ce n’est pas une bêtise, aucun réalisateur n’y a pensé ! 🙂