Jean-Pierre Melville, 1967 (France)
Elle est pianiste dans un bar de jazz et sa musique envoie des boucles mélodiques avec incises et rythme. Valérie fait son boulot et, à la fin du set, dans ce couloir derrière la scène, croise un individu qui n’a pas à être là. Un échange soutenu de regards et rien de plus, l’intrus file à toute allure. Valérie, qui est interprétée avec style par Cathy Rosier, devient le témoin clé, et celle dont l’attractivité, pour les uns et les autres, va précipiter la fin de l’histoire.
De son côté, imper, col remonté au menton, chapeau sobre et élégant, Jef Costello a la beauté inexpressive d’Alain Delon. Il vient d’exécuter son contrat et cherche à disparaître, ce qu’il a soigneusement préparer depuis le début. Melville le met en scène dans un gris Paris, pas simplement un grisaille de tristesse, mais plutôt une cendre de caveau. Le premier plan qui montre Jef allongé, sans bouger, dans sa chambre noire de fin d’après-midi, dure assez longtemps pour laisser croire que l’homme s’entraîne déjà au repos éternel. Dès qu’il se lève, c’est la course, d’abord seul et sans heurt, puis, dès après les yeux de Valérie dans le couloir croisés, bousculé par les autres et contraint. La course-poursuite dans les sous-terrains du métro marque la dernière accélération, la sempiternelle fuite en avant.
Le film est d’une grande sobriété. On suit avec méthode les avancées de la police dans l’enquête. François Périer, toujours impeccable, entre, sort, fait entrer, fait sortir, décide et impose sa logique de commissaire. Il se débat dans la confusion d’ensemble et rétablit l’ordre autour de lui. Jane, l’alibi de Jef (Nathalie Delon), résiste au chef de la police. Convoquée, la pianiste témoigne et sauve le tueur à gage pour des raisons aussi grises que le film. L’a-t-elle vraiment sauvé d’ailleurs ? Le tueur est seul depuis le début et cela jusqu’à l’issue funeste. De plus, dans le couloir au début, c’est le regard de Valérie qui, probablement malgré elle, le condamne. Aussi bien dans ses parties jazz que dans ses autres boucles répétées à l’orgue et plusieurs fois déclinées, la partition de François de Roubaix accompagne au mieux les déplacements du tueur pourchassé. La musique joue les moments de suspense et de plus sinistres ambiances. Elle s’accorde bien à l’urbain anthracite où en son sein et avec aplomb se démène la silhouette de Jef en fuite.
Delon déjà mort et vivant dans cette interprétation du désormais célèbre Costello. Pas le rocker à lunettes, plutôt le tueur à l’imper qui se faufile dans un Paris dévitalisé comme un cadavre sorti de sa tombe. On ne saura trop remercier Melville de nous avoir offert cette « œuvre » marmoréenne qui résiste tant aux passage du temps.