Ryo Takebayashi, 2024 (Japon)
Ce qu’Un jour sans fin de Harold Ramis inventait en 1993, Comme un lundi de Ryo Takebayashi le transpose dans l’univers fermé d’une petite agence de communication, quelque part installée dans une des tours de Tokyo (on aperçoit par la fenêtre l’école d’art et d’architecture de la Cocoon Tower, en plein quartier d’affaires de Shinjuku). Le huis-clos japonais resserre l’espace (ce qui ne surprend pas pour un film de cette nationalité), joue tout autant des effets de répétition et de manière plus rythmée encore, cadencée devrions-nous dire, en tout cas dans sa première moitié. Le registre de la comédie est préservé, si on le compare toujours à Un jour sans fin, et une ou deux scènes sont réellement marrantes. En revanche, pas d’histoire d’amour, contrairement au cœur du film de Ramis, sinon entre les salariés et leur travail de bureau dans le milieu clos de la publicité qui, même s’il s’agit de vendre des produits inutiles (la pastille effervescente pour soupe miso), convient à tous.
Pour apprécier pleinement Comme un lundi, il faut par conséquent mettre de côté plusieurs éléments, à commencer par la valorisation de l’entreprise de laquelle on ne sort pas et à laquelle l’employé sacrifie beaucoup. Il faut aussi écarter cette autre idée qui fait de la réalisation du rêve du directeur de l’entreprise (qui regrette de n’avoir jamais pu devenir mangaka) un but nécessaire au confort de tous et, compte tenu de la pénibilité de la boucle temporelle qui enferme tout le monde, la promesse d’un bonheur retrouvé.
Dans ce système économique refermé, l’histoire fait toutefois la promotion du moins pire. Elle oppose ainsi un petit groupe de travailleurs modestes, dévoués à leur employeur et à leur tâche, mais également solidaires, à la grande entreprise concurrente seulement régie par l’égoïsme et le souci de carrière de ses cadres. Le milieu décrit demeure hyper hiérarchisé. En outre, toute la première partie du film calque sa progression narrative sur la stricte verticalité de l’organigramme de la boîte. Un plan sur l’organigramme à l’appui et l’explication du but à atteindre, on pense à la progression niveau par niveau d’un jeu vidéo. La première mission dans laquelle tous s’engouffrent est un leurre (il s’agit de convaincre le boss de détruire son propre bracelet d’émeraudes, objet prétendument maléfique). La deuxième mission redéfinit la suite du film, les relations interprofessionnelles et complète l’évocation culturelle japonaise par la découverte du manga secret mais inachevé du patron ; histoire dans l’histoire étonnamment triste par ailleurs (le suicide étant un problème bien connu dans la société japonaise).
La spécialisation et le cloisonnement des postes sont ensuite un temps brisés car tous ces sympathiques employés doivent travailler de concert pour tenter d’échapper à leur mauvais sort (la répétition sans fin de la même semaine). L’égalité des salariés est envisagée quand tous se retrouvent à la même table pour un même travail d’ancrage, car ils doivent terminer le manga pour enfin passer à une nouvelle semaine. Cependant, il semble que le lissage de la hiérarchie ne répond qu’à ce besoin singulier et il n’est finalement pas sûr que la semaine qui suivra (ça c’est l’opinion du spectateur) soit si différente de celle qui les a fait un temps prisonniers. Au final, la comédie prévaut, l’énigme amuse, mais le fond laisse dubitatif : un lundi pas si différent dans le monde de l’entreprise.