Emmanuel Mouret, 2011 (France)
Organisé en différents segments, L’art d’aimer entretisse les sentiments.
D’une partie à l’autre du film, les personnages se rencontrent, questionnent leur intimité, souvent se troublent et parfois s’aiment d’un amour nouveau malgré les ans, inattendu en dépit des a priori, absolu ce que n’ont jamais laissé deviner les hésitations qui ont précédé. Mouret pense son film comme un enchaînement de contes et de proverbes qui nous ravit. Dans de longues conversations, L’art d’aimer applique ses motifs amoureux à un tissu urbain embourgeoisé, laisse sa part à la nature et à l’occasion au hasard qui s’en mêle (ici un insecte ramené dans la valise d’un client de l’hôtel qui bousculera le quotidien de certains).
Les sentiments décrits se transforment avec les espaces traversés. Il en est ainsi dans le beau fragment qui intéresse un couple d’âge mûr. La femme (Ariane Ascaride) annonce à son mari qu’elle le quitte car il lui est désormais impossible de lutter contre son corps infidèle. Pour accuser le coup, le mari (Philippe Magnan) part marcher dans la nuit. La voix off de Philippe Torreton nous indique avec exactitude le trajet parcouru (rue Moscou près de Saint-Lazare…) tandis qu’à la déambulation de cet être pensif se superposent en fondus enchaînés d’anciennes gravures de l’Opéra ou du Louvre qui sont mentionnés en off (l’artifice peut faire penser à l’effet donnés aux décors par Éric Rohmer dans L’Anglaise et le duc, 2001). C’est parvenu au Bois de Vincennes, nous est-il précisé, que l’homme fait demi-tour et rentre expressément faire part à sa femme du fruit de sa promenade. L’idée qui lui est venue est la suivante : laisser son épouse libre de voir qui elle veut mais rester malgré tout avec elle et garder la possibilité de la prendre à nouveau dans ses bras. Cette idée est née en quittant la ville est-il presque suggéré, ce que l’on a envie de voir comme la sage inspiration d’un coin de nature, fusse-t-il un simple espace vert parisien. En outre, l’offre du mari, sa générosité et l’amour absolu dont il témoigne sont aussi ceux de Louise qu’interprète Émilie Dequenne, plus tard dans la filmographie d’Emmanuel Mouret (Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, 2020).
La nature apparaît à peine dans l’histoire décrite. À peine le Jardin des Plantes et le Bois de Vincennes sont cités. Néanmoins, dans L’Art d’aimer, film très urbain, la nature est présente par instants et par endroits. Par exemple, avec ce compositeur condamné à qui il est enfin accordé d’entendre la musique que fait la rencontre amoureuse, là, au milieu des arbres, sans toutefois profiter de la compagnie de la femme aimée.
Mais, comme dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, il n’y a pas que du Rohmer dans ces affaires. L’étude comportementale et l’observation attentive et consignée des mouvements du cœur a quelque velléité scientifique si l’on y prête attention. La voix off de Philippe Torreton donne le détail des expériences observées, un scientifique (le professeur Lavigne cette fois) inspire le protocole suivi par Julie Depardieu et Laurent Stocker (et imaginé par Judith Godrèche), la rigueur de la mise en scène et des préparatifs achèvent de céder à l’analyse socio-comportementale. Je ne peux m’empêcher de refaire référence à Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais qui nous venait déjà à l’esprit en voyant Les Choses qu’on dit.
L’Art d’aimer n’est pas un manuel d’initiation contrairement à ce que son titre laisse entendre. Ce n’est pas l’Ars amatoria d’Ovide. Sa structure segmentée laisse également croire à une petite chose, en raison des saynètes pleine d’humour qui amusent et ponctuent l’ensemble, pourtant avec L’Art d’aimer Emmanuel Mouret poursuit son travail exploratoire des relations amoureuses, du phénomène d’attraction des êtres toujours regardés depuis leur environnement quotidien, des liens qui entre les hommes et les femmes se nouent et se dénouent encouragés par une combinaison de principes souvent très volatils. Précis tragi-comique, L’Art d’aimer se confond avec son sujet, léger et sérieux comme l’amour.