Howard Hawks, 1939 (États-Unis)
Après The front page en 1931 par Lewis Milestone, His girl Friday est la deuxième adaptation de la pièce de Ben Hecht et Charles MacArthur. La genèse, réelle ou rêvée, est célèbre. Bien inspiré, Hawks décida de faire du personnage masculin d’Hildebrand une Hildegarde qui dispute à son ex (employeur et mari) son indépendance de femme des années 1930. Elle entend se remarier et vient directement l’annoncer dans le bureau de son ancien époux. Contre cela, Walter Burns, rédacteur en chef du Morning Post de Chicago, emploie tous les moyens que sa jalousie et son orgueil (immenses) lui pourvoient, pour mettre Hildy sur le scoop de sa vie et ainsi briser ses projets. La journaliste dynamique et estimée, interprétée par l’impeccable Rosalind Russell, croit pouvoir rempiler tout en gardant le contrôle de la situation, mais c’est sans compter la roublardise et le charme (immenses) de Burns joué par Cary Grant.
Suite aux bonnes idées du scénariste Charles Lederer, c’est Morrie Ryskind qui prend le relais et finit par livrer ce que le réalisateur considéra comme « les meilleurs dialogues modernes jamais écrits » (dans T. MacCarthy, Hawks, 1999). Sur le plateau, Hawks poussait les acteurs à leur meilleur : improvisation et accélération des répliques jusqu’au chevauchement donnèrent une cadence aux scènes jamais atteintes dans une comédie. Le film est toujours reconnu aujourd’hui pour le très haut débit des échanges entre les comédiens. Ce rythme effréné associé à l’humour déployé (jeux de mots, sous-entendus, quiproquos) donnent des scènes détonantes.
Entre Cary Grant et Ralph Bellamy (le fiancé mou et gentil), l’actrice qui a finalement été choisie s’empare du rôle et fait de son personnage une femme extraordinaire. Sous le regard de Hawks, Rosalind Russell est vive, assurée et pleine d’ardeur, surtout quand il s’agit de se défendre face à la mauvaise foi de son ex-mari. La première séquence qui la présente est admirable, de l’entrée du personnage dans la salle de presse (traversée directe et décontractée au milieu des anciens collègues d’un seul mouvement de caméra), jusqu’au bureau de Burns-Grant, lieu qu’elle investit sans la moindre crainte, alors que la pièce fermée ferait presque penser à une cage à fauve. L’actrice, elle, combine à la fois charme et mordant et forme avec Cary Grant un duo savoureux.
His girl Friday est considéré comme un sommet de la screwball comedy, mais le récit a de quoi ramener Howard Hawks à Scarface (1932). Le carton d’introduction le rappelle avec ironie : le journalisme vit dans l’entre-deux-guerre un « âge sombre ». Certes, le Morning Post s’intéresse à la défense d’un condamné à mort, mais ce n’est pas par humanisme. Un peu à la manière de J. J. Jameson avec le Daily Bugle, Burns fera du moindre ragot une vérité absolue si cela lui permet de vendre plus. Et il escompte bien obtenir un double profit avec l’affaire dont il charge Hildy : accrocher davantage son lectorat avec une interview exclusive du condamné et faire échouer le mariage de son ex-femme. Par ailleurs, Burns a moins l’allure d’un patron de journal que d’un chef de la pègre recourant sans hésiter à des activités criminelles pour favoriser son entreprise. Il est flanqué d’un homme de main, Diamond Louie (joué par Abner Biberman), qu’il charge des basses besognes (faux billets, chantage, enlèvement…). Même la salle de presse du tribunal ressemble à un tripot où tous les journalistes jouent de l’argent. Conduit dans pareil endroit, le personnage de Mollie Malloy, prise d’une affection sincère pour le prisonnier, a une tirade qui assombrit un instant l’ambiance en dépit du rythme et du ton qui dominaient jusque-là. Hawks réserve deux ou trois brefs moments comme celui-là (l’ombre de la potence…). Quand il s’agit de décrire la presse des années 1930, la comédie s’élève en satire et la satire dissimule une matière noire sur laquelle les commentaires sur le film passent vite en général. Tous ces éléments rappellent le contexte d’écriture pour la pièce originale : Chicago dans les années 1920 et 1930 (Al Capone qui inspire Scarface s’était fait arrêter en 1931).
Si La dame du vendredi reste une comédie en tout point réjouissante, la fin ne me paraît aussi satisfaisante que l’idée qu’on en donne habituellement, même si le bon mot sur lequel le film se clôt amuse évidemment. Sur la forme en effet, dans la dernière scène, Hildy enchaîne les changements d’humeur et ses derniers choix sont brusques, répétés, peu justifiés. Le fond, qui a été très discuté, rattrape au contraire par sa complexité les approximations du dénouement. Hildy avait le choix entre une vie de femme au foyer au bras d’un homme tranquille et celle d’une aventurière de la presse, voire d’une quasi criminelle toujours à la poursuite de sujets à sensation susceptibles de décrocher la une. C’est cette dernière qui l’emporte. Il ne faut toutefois par écarter l’homme auquel elle voulait échapper et qui a fini par la faire céder à nouveau. Impossible situation pour Hildy, s’épanouir sous la coupe d’un diable.
Je me souviens d’avoir lu quelque part que le rôle devait être pour Carole Lombard et que Katharine Hepburn l’avait refusé.
Même si Rosalind Russell s’en tire très bien, j’aurai bien vu Katherine dedans. Avec Cary Grant, ils avaient fait un merveilleux duo dans L’impossible Mr. Bébé !
Je n’ai pas vu le film depuis un moment, mais d’accord avec ton analyse : ce rythme effréné (quel débit dans les dialogues !) et cette fin emballée tout aussi rapidement ; pour Hawks la fin justifie les moyens.