Violetta Ayala, 2018 (Bolivie)
Après plusieurs documentaires tournés à l’étranger et en Bolivie (sur des pratiques esclavagistes dans un camp de réfugies de l’ONU ou sur la corruption dans l’industrie pétrolière), Violetta Ayala retourne dans sa ville natale de Cochabamba pour se pencher sur le trafic de cocaïne, sujet qu’elle connaît bien. La documentariste s’intéresse particulièrement à la détention d’un garçon de vingt ans qui rêvait de musique avec l’argent gagné à passer de la drogue.
Violetta Ayala filme donc la descente d’Hernan dans l’enfer de la prison de San Sebastian. Là-bas, les huit toilettes et les trous qui servent de cellules n’étaient prévus que pour accueillir quelques dizaines de prisonniers. Elle en compte aujourd’hui 600 ou 700. Avec les années, la prison, véritable citadelle-taudis au milieu de Cochabamba (la troisième ville du pays), a acquis une organisation singulière. La corruption devant bien aider un peu (mais cet aspect-là n’est pas traité par le film), la prison de San Sebastian est devenue un drôle de marché où ceux qui n’ont pas les moyens d’acquérir une cellule dorment dans les couloirs, où ceux qui ont l’argent nécessaire négocient l’hébergement de leur famille en prison, où chacun mange comme il peut… Hernan, lui, n’a pas l’air de se débrouiller trop mal. Il parvient à se trouver un coin où dormir à un prix exorbitant. Il sympathise avec Mario, plus âgé et enfermé pour un flagrant délit de fabrication de cocaïne. Le film suit aussi le cheminement de Daisy, la sœur de Hernan, qui tente de reprendre contact avec le trafiquant qui l’a employé.
« Mon grand-père, l’un des fondateurs du Parti communiste bolivien, finançait une bonne partie des activités du parti en transportant de la cocaïne à travers l’Amérique latine. » Violetta Ayala connaît bien le sujet puisque sa famille a échappé à la pauvreté grâce au trafic de drogue. Cocaïne prison donne une idée de la justice bolivienne en insistant par exemple sur les reports nombreux de procès de toutes ces petites mains du marché de la drogue. La très grande lenteur judiciaire explique en partie la surpopulation carcérale et les grands trafiquants ne sont jamais inquiets. Le film cependant ne livre pas tous les enjeux que représente la coca pour la Bolivie. C’est le dossier de presse qui rappelle l’implication du président Morales dans la production de la plante (de 1997 à 2019, car en octobre de cette année Morales démissionne alors qu’il vient tout juste d’être réélu pour un quatrième mandat). Il faut bien savoir que le président déchu était, dans la région du Chapare, à la tête des syndicats des producteurs de coca. Depuis une dérogation de l’ONU obtenue en 2013, la Bolivie est d’ailleurs officiellement le seul pays reconnu producteur de coca (pour l’acullico, pratique à la fois médicale, rituelle et traditionnelle, les Boliviens aiment à mastiquer ses feuilles). Et en 2017, une loi permet l’augmentation des surfaces agricoles légales (et met en concurrence deux régions, des Yungas et du Chapare, ce qui est certainement à l’origine des tensions qui valent à la Bolivie une crise politique en cette fin d’année 2019).
Peut-être regrettera-t-on par conséquent que Cocaïne prison reste à l’échelle de l’individu (Hernan et Mario) pour signaler l’enjeu économique que représente la coca, alors que tout le pays semble en dépendre. Toutefois, Violetta Ayala fait aussi de ce seul point de vue à hauteur d’homme (la caméra toujours au-dessus de l’épaule, toujours accompagnant), une force qui rend le film parfois assez émouvant. Elle fabrique enfin des images marquantes dans un lieu où certainement aucune caméra n’avait jamais filmé auparavant.