Gustave Kervern et Benoît Delépine, 2018 (France)
Frère Jacques, frère Jacques, rêvez-vous… Jacques (Jean Dujardin) qui est arrivé un beau matin en peignoir et sandales a installé sa start-up, comme un stand à la fête de l’Huma, dans la cour d’une communauté Emmaüs. Sa sœur Monique (Yolande Moreau), qui dirige la communauté, l’a accueilli pour lui rendre service, parce qu’avec toute sa gentillesse et toute sa simplicité elle est aussi un peu bonne poire avec son frère. Jacques a soi-disant besoin d’un autre environnement et d’un peu de temps pour trouver une idée simple, un truc nouveau et tout con, qui le transforme instantanément en milliardaire. Et justement, après s’être non-violemment essayé à tel ou tel atelier, entre le bilan de sa vie exposée et une pause café, il finit par se convaincre d’une idée : proposer un programme pour retrouver confiance en soi, à base de coaching, de tourisme culturel et de chirurgie esthétique low cost en Bulgarie (via la Roumanie, d’où le tourisme culturel). Le business plan lui paraît sans faille, d’autant qu’Emmaüs lui procure des clients exploitables à merci : sa propre frangine ainsi que ses compagnons à qui il promet monts et merveilles.
Une telle opposition entre le carnassier capitaliste et les fragiles d’en-dessous nous fait penser d’abord au film de C. Klapisch, Ma part du gâteau (2011). Cependant, les maladresses d’écriture ne sont pas les mêmes, ni les convictions très comparables. Le tandem Kervern – Délépine, qui joue également avec des personnages caricaturaux ainsi qu’avec leurs contrastes, parvient à ne pas trop les alourdir et à davantage nous les faire accepter. Leur regard est aussi plus tendre et plus optimiste (jamais d’exclusion ni de rupture définitive contrairement au film de Klapisch). Ma part du gâteau disait finalement davantage et mieux par les paysages et les espaces choisis qu’avec son trader et sa bonne. De leur côté, Gustave Kervern et Benoît Delépine soignent aussi leurs cadres et leurs décors et les assortissent très bien au propos : partout sont mises en avant les couleurs vives d’une utopie qui fonctionne sur la coopération et la décroissance, où au sein de la communauté, tous partagent et se contentent de ce qu’ils ont.
Au milieu du trop plein consumériste à recycler (appareils de musculation rassemblés en un vieux troupeau abandonné, rangée de pianos, montagnes de vêtements, fatras de vaisselles…), les compagnons ignorent la crise. Un havre de quiétude dans un monde matériel perdu. L’utopie décrite n’est certes pas aussi inventive que celle de L’usine de rien (Pedro Pinho, 2017). De plus, contrairement à ce dernier, la comédie anticapitaliste loufoque ne pousse pas vraiment à la réflexion (la vraie limite du film ?). Sans parler d’un scénario qui patine par endroits, notamment quand Dujardin démarche ses clients… Le film, qui évoque au passage l’horreur économique actuelle, n’en perd pas pour autant ses couleurs, son humour (moins corrosif qu’à l’habitude) et se termine même en chanson. I feel good brasse de l’optimisme où il serait facile de ne voir que morosité et amuse par les mésaventures de son drôle d’ambitieux, ce qui n’est pas si mal.
Je ne supporte pas Jean Dujardin. Et pourtant, j’avoue que je serais curieux de le voir évoluer dans l’univers des créateurs du Groland. Rien que pour ça, le film me tente.