Quentin Dupieux, 2018 (France)
Au poste est un huis-clos qui ne se tient pas. Un huis-clos qui ne peut s’empêcher de commencer par une escapade en campagne avec orchestre, qui doit sortir vingt minutes pour un rendez-vous soi-disant important ou encore passer aux toilettes se laver les mains (pleines de sang). Le huis-clos prend place dans un commissariat et se rappelle aussi bien Garde à vue de Miller (1981) que sept va-et-vient d’un appartement de banlieue à la cour d’un immeuble. Par ailleurs, Dupieux joue aux vases communicants du huis-clos avec l’extérieur et de la réalité avec les souvenirs et les représentations, cinéphiles ou théâtrales, on ne sait plus, l’abîme et tant d’allées et venues nous y perdent. Le huis-clos a pourtant bien lieu dans la tête de Fugain (Grégoire Ludig), dont le nom évoque forcément la fugue à laquelle il aspire depuis sa claustration. Fugain n’a rien fait mais est le seul suspect interpellé. Il a terriblement faim et le commissaire veut à nouveau tout reprendre depuis le début. Fugain pense à fuir, sinon à sortir (et le spectateur avec lui) mais, innocent, ce qu’il répète plusieurs fois, il préfère rester sage et répondre à l’interrogatoire du commissaire Buron (Benoît Poelvoorde).
Au poste ! commence pourtant par la fugue du chef d’orchestre en slip rouge coursé par la police sur la 3ème de Bernstein. Cette entrée en matière n’est pas sans rappeler l’intervention de la police dans Monty Python : Sacré Graal ! (1975), alors que des armées de chevaliers étaient prêtes à s’entrechoquer. Elle prouve surtout que toute tentative de fuite est vaine puisque le type en slip est dans le plan suivant conduit au poste. A Fugain de se démerder. Quitte à s’évader à l’occasion par la pensée ; quoique celles-ci s’avèrent aléatoirement partagées par Buron ou sa collègue Fiona (Anaïs Demoustier) qui le harcèlent de questions. D’ailleurs, avec de tels intervenants dans la tête, la mémoire se fait approximative. Le film court pourtant à sa manière après la justesse, la précision et une vérité… reste à trouver laquelle. Fugain reprend Buron quand la version proposée des faits ne lui convient pas, Buron reprend Fugain sur les mots. Les deux s’interrogent sur une expression trop souvent répétée pour qu’elle n’ait pas été vidée de tout son sens. C’est pour ça.
Dans cet univers-ci rien ne va. Les dysfonctionnements sont physiques : un trou dans le poumon pour Buron, un œil en moins pour Philippe (Marc Fraize, chargé de garder celui qui lui reste sur Fugain le temps d’une absence), une jambe abîmée pour Champonin (Philippe Duquesne). Les dysfonctionnements sont aussi comportementaux : inutile ici de les énumérer, on s’y casserait les dents et, de toute manière, ils concernent tout le monde ou presque, à commencer par le présumé suspect. De plus, avec sa moquette beige et ses machines à écrire, les bureaux de police ne sont plus eux-mêmes qu’un vestige de l’époque Gabin, Delon, Montand ou Belmondo. A ce souvenir se heurte la modernité des extérieurs urbains (la résidence Vision 80 à la Défense). L’ambiance nocturne finit de tirer l’ensemble hors du temps.
Le huis-clos est volatile. Les souvenirs ne sont pas toujours fidèles. Malgré l’équerre, la précision du tapuscrit, la vraisemblance conférée par tous les dossiers empilés, la réalité devient flottante. La fin du film également. Quand le rideau se lève et révèle le public faisant un triomphe aux acteurs sur scène, on se dit que l’auteur choisit la facilité. La citation du Charme discret de la bourgeoisie (Buñuel, 1972) est trop appuyée. Ce détour par la scène ressemble davantage à une pirouette. Quentin Dupieux a soigné ses dialogues et peut-être a-t-il rêvé également d’une pièce. Une pièce qui n’aurait pas été complètement fermée ou dont la porte se serait légèrement entrouverte. Un placard peut-être et son cadavre.
Belle chronique, Benjamin, et assez d’accord avec toi sur la pirouette finale. Cela dit, le coup des menottes, ça m’a plu.
Je suis moins convaincu que d’autres par ce Dupieux. Reste un ton (et une audace) assez unique(s) dans la production cinématographique française. Et si je m’y intéresse, c’est pour ça…
Dupieux est un réalisateur malin et, et il fait montre d’une personnalité intéressante et même sympathique. Cependant, j’ai toujours du mal à détacher dans ses films ce qui relève du pastiche post-moderniste, et ce qui revient pleinement à son talent. J’aimerais le voir s’émanciper un peu de ses références.