Tim Burton, 2016 (États-Unis)
SALUTAIRES PÉRÉGRINATIONS ?
Drôle de mélange que ce film, comme si Burton avait voulu recréer en adaptant ce récent roman de Ransom Riggs (2012) son propre Labyrinthe de Pan (2006) et y avait perdu ses habituels êtres particuliers, jeunes X-Men s’ignorant (2000), marginaux aux ombres variées. Au film de Guillermo del Toro, il emprunte de façon fortuite son terrible contexte de guerre et ses projections monstrueuses, les enfants recréant un monde fantastique (il y est affaire d’yeux et de croyances) pour échapper à la dure réalité du début des années 1940 ; à celui de Bryan Singer, un groupe de jeunes talents ayant chacun un don (ou une difformité) extraordinaire, pétrifier d’un regard, avoir le contrôle de l’air ou du feu, vomir un essaim d’abeilles (c’est ici que l’on citera les trois acteurs qui nous ont le plus attirés, Eva green, Asa Butterfield -le Hugo Cabret de Scorsese, 2011- et Ella Purnell qui par son visage nous rappelle assez Christina Ricci dont Burton avait fait la belle et pâle demoiselle de Sleepy Hollow, 1999). Pourtant, malgré ces éléments familiers, vus ici ou là, le réalisateur déploie une imagerie plutôt plaisante, nous ramenant du côté d’Edward aux mains d’argent (1990) par ses sculptures végétales, éventuellement Beetlejuice (1988), Les noces funèbres (2005) ou Frankenweenie (2012) lors de la traversée d’une fête foraine avec spectres et squelettes.
Mais surtout, parce qu’il prend pour point de départ une banlieue pavillonnaire en Floride (après la Californie de Frankenweenie et de Big Eyes, 2014, ses deux précédents films) et fait le voyage en bateau jusque sur le Vieux Continent, sur une petite île du Pays de Galles, on repense aisément à l’analyse territoriale de Matthieu Orléan. Nous parlions d’un regard en arrière pour évoquer le cinéma de Burton, le regard d’un enfant par dessus son épaule pour vérifier qu’aucune vilaine créature ne l’épie, le regard des États-Unis vers l’Europe, la vieille dame ayant tendance à terrifier encore la plus jeune. Rien que de très normal alors de considérer l’Europe comme un territoire privilégié quand il s’agit de manifestations monstrueuses, d’assauts nazis (le grand-père interprété par Terence Stamp est un réfugié polonais, les enfants manquent de mourir dans leur foyer bombardé par la Luftwaffe) et des gesticulations de Sépulcreux dirigés par un affreux et très série B Samuel L. Jackson. Burton, lui, n’a pas peur de cette vieille dame Europe. Il joue dans ses jupons et lui reste très attaché.
Le film nous intéresse donc pour ses déclinaisons concernant les territoires et pour les pérégrinations effectuées entre ces différents endroits. Concernant ce point, il faudrait d’ailleurs ajouter une remarque à défaut d’une analyse sur les seuils que tous ses personnages franchissent et qui les amènent soudain à fouler un sol clairement fantastique : considérer par exemple l’Europe et l’Amérique comme les deux espaces opposés que l’on trouve de chaque côté du miroir, mais aussi prêter attention aux passages de portes, de cloisons, de trous… autant de motifs communs chez Burton pouvant être révélés par un trouble, un manque, une agitation…
De façon plus générale, toute une partie de l’histoire de Miss Peregrine peut se résumer ainsi : des enfants étranges sont enfermés dans un pensionnat particulier (refuge nimbé de magie) et condamnés à revivre sans arrêt la même journée du 3 septembre 1943. Comment ne pas penser alors à une autre boucle ? Film après film, Burton, hanté par d’antiques mais géniaux macchabées, s’essaye en effet lui aussi à la résurrection des corps : il tente de redonner vie à l’excitante création des débuts, inspiration recherchée dans les bribes laissées de ses précédentes réalisations, ou puisée ailleurs (comédie musicale, Sweeney Todd, 2007, vieille série, Dark shadows, 2012, classique de la maison Disney, après Alice, c’est Dumbo qui est annoncé). Toutefois, à condition cette fois de s’en tenir seulement au divertissement proposé, si dans Miss Peregrine et les enfants particuliers on ne peut nier le foisonnement, il faut bien reconnaître qu’il n’y a plus guère d’emballement.