Charlie Siskel, John Maloof, 2013 (États-Unis)
Il est des découvertes heureuses et extraordinaires : c’est au hasard d’une vente aux enchères alors qu’il cherche des photos de quartier pour illustrer un livre que John Maloof va tomber sur une pépite.
Une pleine boîte de négatifs à la beauté saisissante, de l’émotion pure en noir et blanc. L’auteur ? Une mystérieuse photographe dont on apprend qu’elle a passé sa vie à garder des enfants, une nounou excentrique comme la décrivent quelques rares personnes qui se souviennent d ‘elle et découvrent alors qu’elle était aussi, et même avant tout, une artiste.
Vivian Maier semble avoir trompé son monde durant toute sa vie. D’elle on ne sait que très peu. Elle est née en février 1926 d’une mère d’origine française et d’un père dont on n’a pas trace. Vivian semble taire beaucoup de choses, peut-être un passé trop lourd à porter, elle choisit de se cacher, de rester secrète, elle donne de fausses pistes, se dit française mais est née à New York, écrit son nom d’une façon, puis d’une autre, sème de fausses identités, change souvent d’employeurs. Vivian est seule, sans enfant, elle s’occupe de ceux des autres…
Vivian Maier est invisible, c’est une artiste de l’ombre, une artiste parce que cette nourrice passe la plupart de son temps armée de son Rolleiflex en guise de collier à prendre des photos dans la rue, au plus près du petit peuple dont elle se sent proche et dont elle dit faire partie. Elle a un œil incroyable, un sens de la lumière admirable. Vivian transmet l’émotion de l’instant, elle sait voir la beauté dans la détresse, déceler la nature humaine dans ce qu’elle peut avoir de plus lumineux et de plus sombre. Elle capture sur le vif la vie dans les rues qu’elle arpente avec les enfants en balade, n’hésitant pas à les entraîner dans des quartiers malfamés pour quelques clichés de plus.
Vivian est hermétique, elle ne dévoile rien, rien ne filtre, tout est intériorisé comme ces centaines de babioles qu’elle collectionne et cache les unes dans les autres puis dans des cartons, boîtes et valises, emboîtées telles des poupées russes, comme par souci d’enfouir à jamais un passé dérangeant mais en espérant peut-être quand même qu’un archéologue balaiera la poussière pour révéler le trésor.
John Maloof ne veut pas en rester à ces milliers de photos, il part à la recherche de Vivian Maier, il enquête sur sa vie, elle, la photographe discrète dont on comprend finalement qu’elle souhaitait confier le développement de ses œuvres à un ancien ami français. Et on en apprend un peu plus sur ses origines françaises, mais si peu et puis qu’importe… Et enfin la lumière, l’éclat, le révélateur du photographe fait son œuvre, lentement, et l’artiste naît aux yeux de tous, tard, après sa mort en 2009. Un témoin dans le film dira : « In death she is getting the fame that she never had in life ». S’attelant à un travail de titan, John Maloof développe, scanne, imprime et dévoile au public les clichés pris par Vivian Maier, des clichés témoins de l’Amérique des années 1950 et 1960 mais aussi du monde entier parcouru lors de ses voyages : 100 000 clichés à ce jour, 150 000 négatifs, 2000 pellicules encore à développer, le travail est long, lent, une œuvre au noir qui attend patiemment la révélation au grand jour. Ainsi en 2014, grâce au documentaire, nous avons la chance d’assister avec émotion à la renaissance d’une grande photographe et nous souhaitons vivement sa reconnaissance du milieu professionnel qui semble pourtant tarder.
Malgré tout, les photos révélées, l’enquête menée, le documentaire réalisé, le personnage reste secret, mystérieux ; si mystérieux qu’une amie côtoyée pendant dix ans réalise avec stupeur face à la caméra qu’elle ne sait rien de Vivian, personne ne semble l’avoir réellement connue. Un mystère, un personnage cousu de contradictions, et chacun tente d’en décrire une facette comme les fragments d’un kaleïdoscope faisant écho les uns aux autres, des parcelles d’image identiques à cet autoportrait se réfléchissant dans d’innombrables miroirs mais personne n’arrive à rassembler les morceaux du puzzle. Chacun zoome à sa façon sur tel ou tel trait de caractère de Vivian et aucun n’en fait le portrait complet. Dans le documentaire de Maloof et Siskel, on la découvre tour à tour secrète et excentrique, aimable et dure, attachante et pourtant si sombre, trouve-t-on vraiment Vivian Maier dans le film ? N’en gardons-nous pas finalement qu’une contre-plongée un peu floue mais tellement touchante…