Richard Linklater, 2013 (États-Unis)
Un premier plan : les pieds d’un garçon et ceux de son père marchant à ses côtés face caméra. Nous sommes à l’aéroport de Kalamata, dans le sud du Péloponnèse et Jesse dit au revoir à son fils qui vient de passer les vacances avec lui et qui à présent rentre à Chicago. Dehors, sur le parking de l’aéroport, Céline attend Jesse, leurs jumelles dormant à poings fermés à l’arrière de la voiture.
Alors que Before sunset (2004) avait laissé Jesse et Céline (Ethan Hawke et Julie Delpy) neuf ans plus tôt disparaître dans un fondu au noir qui disait toute la volonté qu’avait ce couple de rester enfin ensemble et donc surtout de ne pas se quitter, le premier plan-séquence d’un quart d’heure de Before midnight nous rassure sur la situation : Céline et Jesse sont maintenant ensemble. De plus, alors que dans les précédents films, ils déambulaient sans but ou se laissaient transporter sans se soucier du trajet (train, bateau-mouche, voiture avec chauffeur…), pour la première fois, le couple en voiture suit une route et une direction précises. Ils semblent les maîtres à bord, échangeant toujours autour de la vie et de leur situation.
Cependant le procédé du tête à tête éclate et d’autres personnages apparaissent. Peut-être, parce qu’il a déjà été question des concessions de Jesse (ne pas voir son fils autant qu’il le souhaiterait) ou des craintes de Céline (ne pas poursuivre sa carrière comme elle entendrait à cause des contraintes familiales), le couple se disperse et se tourne vers d’autres interlocuteurs. Les extérieurs méditerranéens sont paradisiaques et, chez leurs hôtes grecs, Céline et Jesse sont en présence de couples d’amoureux de toutes générations. Aucun vraiment auquel s’identifier.
Un autre plan : les pieds de Céline et ceux de Jesse marchant à ses côtés face caméra. C’est l’exact milieu du film et bien sûr le plan fait écho au tout premier. Une partie de la famille à laquelle est rattachée Jesse d’un côté, l’autre partie de la famille, sa vie avec Céline et ses filles, de l’autre. De lui dépendrait l’union ou la désunion de la famille ? Toujours est-il qu’il y a une cassure, deux plans distincts, deux parties du film, deux familles pour chaque personne : pour son fils partagé, pour Céline mère et belle-mère, pour lui, l’ex et le mari. Ce plan s’insère dans une séquence où le couple parcourt un site de ruines : le moment rappelle l’érosion d’un autre amour, celui d’Ingrid Bergman et de George Sanders dans Voyage en Italie de Rossellini (1954).
C’est de cette situation très concrète de la famille scindée et soumise à différentes épreuves qu’éclate l’orage entre Céline et Jesse. Le dernier jour de leurs vacances, leurs amis leur réservent une nuit sans leurs filles dans un hôtel tout confort. L’enfermement de la séquence rompt totalement avec le soleil, le ciel bleu et les oliviers vus jusqu’ici. Et c’est au moment de faire l’amour qu’on tire définitivement le rideau sur le paradis. Quelque chose se passe et ce n’était pas dans le programme, un mot, une remarque sur lequel la conversation dérape. L’ambiance design et feutrée de la chambre d’hôtel devient alors le décors d’une dispute longue, amère et des plus sèches. La porte claque une fois, puis deux. Il faut sortir. La conclusion étonnante reprend la forme du dépliant touristique et Linklater semble nous dire qu’il faut jouer pour avancer, jouer aux amoureux et construire sa vie de couple sur le temps, faire semblant et accepter l’artifice avant que le soleil ne disparaisse ou que l’aiguille ne cesse de tourner. C’est comme si le bonheur avait filé quelque part entre Before sunset et Before midnight et qu’il s’agissait à présent de rétropédaler pour espérer le retrouver.
Anderson, Kubrick ou Malick, les montages cinéphiliques de Kogonada sont beaux et convaincants. Ici sur le cinéma de Linklater, le sien propre et ses influences. La vidéo a été réalisée pour Sight & Sound magazine (nov. 2013).
Linklater // On Cinema & Time from kogonada on Vimeo.
Un documentaire est sorti fin 2014 en Amérique du Nord sur le réalisateur : 21 Years: Richard Linklater, de Michael Dunaway et Tara Wood.
De Slacker (1991) à Boyhood (2014), -« It’s been said that the first 21 years defines the career of an artist » : je ne sais pas comment le calcul est fait mais bon…- Linklater paraît avoir suffisamment insufflé de personnalité à ses films (parmi lesquels toutefois une ou deux commandes de studios) pour aspirer au titre, un peu abusif certes, de « parrain de l’indé ». Alors que Liars (A-e) depuis 2009 a été abandonné et que Bernie (2011) n’a jamais trouvé de distributeur en France (sinon en dvd), espérons accéder un jour à ce portrait…