Dieudo Hamadi, 2013 (Congo)
UN CRI DU CŒUR
L’argent au cœur des élections congolaises de 2011, face soit à une population pauvre, lasse et blasée, soit une résistance civile militante avide de changement : un documentaire vérité par un jeune réalisateur, Dieudo Hamadi , primé cette année au Cinéma du réel.
Kinsasha 2011 : Les jeunes des quartiers populaires, les « kuluna », sont totalement désabusés face aux élections législatives et présidentielles qui ont lieu à l’issue du premier mandat du président Joseph Kabila. C’est la seconde fois depuis l’indépendance du pays en 1960 que les citoyens congolais participent à des élections libres. Dieudo Hamadi signe son premier long métrage avec son film documentaire Atalaku, qu’il a tourné seul, caméra à l’épaule. Le film a obtenu le prix Joris Ivens au Cinéma du Réel en 2013, le célèbre festival du documentaire à Paris. Politique, religion et argent s’entremêlent autour d’un peuple assoiffé par le désir d’un changement social.
L’« ATALAKU » : LA VOIX DU PEUPLE
Avec cette première question politique, le jeune réalisateur congolais a choisi un angle très pointu, la rue, la jeunesse et un personnage phare, à la fois incarnation de son message et capable de nous introduire dans le monde des élections : Gaylor, l’« Atalaku », le « crieur » en lingala, une des langues parlées en RDC. Également pasteur adjoint, il décide de faire affaire avec le député le plus offrant dont il assurera la publicité dans la rue et pour qui il dénichera des musiciens qui composeront la chanson de sa campagne. De l’église, où il incite ses fidèles à faire des dons pour la paroisse, aux étals des marchés où il cherche à convaincre les « mamans » de se rendre au meeting d’un des candidats, Gaylor porte le rôle d’un « Atalaku » le titre du film.
UN CINÉMA DU RÉEL
Tout l’enjeu du réalisateur réside dans la manière dont il va montrer le réel, retranscrire la réalité de son pays, à travers la scénarisation de son documentaire, son cadrage, son montage, même si le réel est sombre, celui d’un « peuple qui a trop souffert », comme le crient haut et fort ses personnages. L’enjeu du film, lui, est construit autour de l’argent. Pour se faire élire, les politiciens promettent de l’argent, ils le distribuent aux Congolais pour être sûrs d’être élus. Les promesses non tenues expliquent que les femmes du marché ne se mobilisent plus, sauf lorsqu’on leur promet quelques francs pour améliorer leur quotidien. Les jeunes kuluna, délinquants des rues, squattent dans un cimetière et sont appelés par Gaylor à danser et rassembler des spectateurs au meeting d’un candidat. Ils ne croient pas plus que lui à l’avenir politique du Congo. Ils ne bougent que pour l’argent et n’iront pas voter. Par contre, ils participeront aux émeutes après les élections au risque d’y perdre leur vie.
Hamadi opte pour la caméra portée, par manque de moyens techniques et financiers certes, mais surtout pour se fondre dans cette réalité en pleine mouvance. Loin de proposer une esthétique cinématographique spectaculaire, une scène fait exception par sa douceur visuelle, celle d’un match de football. Filmée en contre jour, des silhouettes noires, celles de jeunes Congolais ondulants devant un fond aux couleurs pastels, violet, rose, bleu… Un tableau serein et silencieux qui permet au spectateur de souffler au milieu de cette agitation sonore et visuelle : chants congolais, enfants, musique, mégaphone, tensions créées par le montage, rassemblements…
LA CAMERA COMME TÉMOIN D’UN CHANGEMENT
« Le peuple d’abord »; « Pour le changement radical »; « Ensemble pour un nouveau Congo prospère »; « L’avenir du Congo est beau »… Les gros plans sur les panneaux publicitaires des candidats jonchent les rues de la ville et sonnent comme une ponctuation du documentaire puisqu’ils reviennent sans cesse, au milieu d’un décor aux allures de compétition politique. Cette série de plans fixes sur les affiches de la campagne électorale, tout au long du film, traduit le désir de changement du réalisateur. Mais paradoxalement, les images et séquences de cimetière sont récurrentes, elles sont pourtant à l’antipode du symbole de l’évolution et du changement. C’est le jour du scrutin que la caméra portera le plus son rôle de témoin, lorsqu’un observateur est accusé de tricherie, le peuple réclame la caméra pour filmer et ainsi dénoncer « l’ennemi du peuple ». La caméra se fraye un chemin au milieu d’une foule d’électeurs en colère et apparaît donc comme le témoin d’un désordre social. Dans Atalaku, les choses changent, une société civile s’organise, le peuple n’est pas dupe et se mobilise malgré tout lors des élections, dénonçant les fraudeurs.
LA RÉSISTANCE COMME LEITMOTIV
Les sensibilisateurs de la NSCC (Nouvelle société civile congolaise) qui arpentent les rues à la recherche d’électeurs pour leur expliquer comment voter pour le candidat de leur choix, se révèlent être les figures d’une résistance omniprésente. En les suivant, de manière répétitive dans les rues ou à leur siège, une opposition est à l’œuvre, et va du désintérêt d’un peuple fatigué aux gestes désespérés d’émeutiers en colère, et des tensions entre les militants. Deux semaines après les élections, la tension s’amplifie et le peuple crie sa colère dans un chaos ambiant rythmé par des affrontements avec la police. Un véritable tableau qui dépeint une scène violente, contrebalancée par des effets cinématographiques qui rappellent les films d’action : scène montée au ralenti, silencieuse, entre réalité et fiction. L’Atalaku raisonne comme le dernier cri de ces élections explosives.
Faustine Heugues et Leslie Vogt, pour Preview,
dans le cadre de la 35e édition du Festival des 3 Continents