Marc Forster, 2013 (États-Unis)
« Le mouvement, c’est la vie » ou de l’impérieuse nécessité d’aller plus vite que les zombies. Mais, depuis 1968 et La nuit des morts-vivants, suivant le monde, les zombies de cinéma ont accéléré le mouvement. Ils courraient déjà et se jetaient avec férocité sur leurs victimes dans 28 jours plus tard (Boyle, 2003). Dix ans après, ils déferlent et submergent l’humain en un torrent de mort. Le monde se précipite, nous, les morts-vivants avec lui. Après avoir parcouru plusieurs pays (on survit à la mégalopole américaine, à la Corée du Nord, à Jérusalem…), Gerry Lane (Brad Pitt) déduit de son enquête de terrain que la première solution contre les macchabées (la seule énoncée dans le film) est d’inoculer à l’humanité survivante une maladie mortelle. Ils appellent cette découverte le « camouflage ». Les morts-vivants ne cherchent à mordre que des corps sains et bien portants, il s’agit donc de se rendre malades (du moins momentanément) afin de leur échapper.
Presque 50 ans de zombies sur toile depuis La nuit des morts-vivants et ces créatures semblent toujours vouloir nous dire quelque chose. Dans les années 1970, elles participaient à la critique d’une société américaine vacillante. En 2013, leur discours, si discours il y a, serait plus global. D’une part, la mise en relation des différentes parties du monde par le phénomène zombie fait de la mondialisation un vecteur de contagion (et les lieux cités sont bien plus nombreux dans le livre dont World War Z est l’adaptation). D’autre part, la découverte dont se sert le héros n’est qu’un mal pour un mal. Il est peut-être un écho lointain à la course aux échanges ou au progrès, il nous semble surtout symptomatique de notre temps, une nouvelle solution pour la « post-humanité ».
A partir de là, il nous amuse de pousser un peu plus loin la divagation. Dans le film, Gerry Lane tire un enseignement d’importance de la poignée de minutes passées (à l’écran) avec le scientifique de 23 ans sur qui reposaient tous les espoirs de lutte contre la « peste zombie ». Le jeune chercheur dit bien que la nature se plaît à dissimuler ses faiblesses et à les faire passer pour des forces. World War Z, ce produit à très gros budget prêt à une distribution mondialisée, porterait-il en réalité atteinte aux personnes et aux esprits qui l’ont fait naître et à qui il est destiné ? Par son exposition dystopique de la mondialisation (voir sur cette question les réserves de Théo Latterner et Bertrand Pleven dans les Café-géo) est-il possible de voir dans le blockbuster une critique réelle du système politique et économique qui régit partout la vie de tous et de chacun ?
Une fois passé ce bref délire interprétatif, ajoutons deux remarques plus simples. La première s’accorde avec l’idée de mondialisation mais n’est pas si fréquente dans ce genre de super-production qu’il n’est pas inintéressant de la retenir. Le film n’insiste pas sur les déploiements de force, ni sur la haute technologie, ni sur les bannières étoilées, la CIA est discréditée et ce que l’on voit de l’armée demeure au service de l’ONU. De plus, c’est d’une institution internationale, l’OMS, que vient la solution. Il est sans doute exagéré de dire que la toute puissance américaine s’est effacée au profit de la seule entente internationale mais cette valorisation onusienne est plutôt exceptionnelle. La seconde, au contraire, voit le retour d’une figure prisée par le cinéma hollywoodien, celle du héros père de famille. Gerry Lane a quitté son travail pour sa femme et ses enfants, c’est pour les sauver qu’il va devoir à nouveau travailler pour l’ONU. Fini le père faillible (Tom Cruise dans La guerre des mondes, Spielberg, 2004), le père en proie à ses doutes (Mel Gibson dans Signes, Shyamalan, 2001), revoilà le père sûr et protecteur, capable de tout et survivant à tout pour préserver sa famille (qui n’est ni divisée, ni recomposée) et sa place au sein du foyer.
J’ai vu le film et lu le livre. Malheureusement, il ne reste quasiment rien de l’oeuvre de Max Brooks (qui a complètement désavoué le film, d’ailleurs). C’est bien dommage car le coté cynique et dérangeant du scénario apportait une certaine fraîcheur à un genre surexploité.
J’ai donc essayé de faire abstraction du livre en me disant que j’allais voir complètement autre chose. Le film est un film catastrophe de bonne facture avec des séquences réussies (Israël) mais où il ne faut pas trop regarder les incohérences. Franchement, voir le héros se crasher en avion, sortir blessé de l’appareil avec un morceau de ferraille dans le corps et malgré tout marcher 5 kilomètres pour rejoindre le labo de l’OMS (avec un GPS dans la tête en plus !), c’est un peu trop.
On ne voit rien de ce qui fait vraiment le zombis à l’écran (chair déchirée, entrailles ou cerveaux dévorés ; y a-t-il seulement du sang ?). L’angoisse est créée dans des espaces clos mais aussi dans des espaces très ouverts (je ne suis pas sûr que ce soit une nouveauté, mais c’est plutôt réussi), elle disparaît de temps à autre avec une explosion ou dans un moment de répit.
Pour la plupart, les critiques ont vu juste : il s’agit bien d’un « film d’horreur familial » (Le Monde).