Christophe Sahr, 2011 (France)
A bord de sa Honda Civic customisée, Alex file sur cet anneau de bitume comme sur une ligne frontière. Le monde auquel il appartient est celui des zones commerciales et des banlieues sans horizon (nous sommes au milieu des barres d’immeubles de l’Essonne). Il est cariste et sa copine Rachel caissière (Johan Libéreau et Christa Théret). Ils vivent en appartement avec leur petite de deux ans. C’est Rachel qui s’en occupe. Alex, lui, a le tuning. Le couple tient surtout parce qu’elle assume tout et concède pas mal.
Christophe Sahr, dont Voie rapide est le premier long métrage (après deux courts repérages dans le monde du tuning, Contact 2008 et Custom 2009), filme ses personnages, leur relation et leurs lieux de vie sans forcer le trait. Pas de tag, de hall dégradé ou de jeunes désœuvrés. Les parkings déserts des centres commerciaux sont réinvestis la nuit et à coup de couleurs vives, de vrombissement de moteur et de musique : les passionnés de tôles et de son animent ainsi à leur manière ces no man’s lands de la consommation. La caméra est souple et dynamique. On reste au plus près des personnages, de leurs passions et de leurs doutes. Sur la route, les cadres et le montage assurent une tension constante.
En prêtant davantage attention aux espaces, le réalisateur, surtout, met en relation deux types de périphéries : celle des barres d’immeubles et celle des petits pavillons standardisés. C’est un accident qui pousse Alex à traverser la voie rapide et se rendre dans ces banlieues pavillonnaires pour classes moyennes. Il rend plusieurs fois visite à la mère du garçon qu’il a renversé et tué. Ayant perdu ses repères, il passe aussi chez des parents qu’il ne fréquente plus. Ces lotissements plus ou moins modernes sont toujours représentés avec leurs terrains fragmentés et leurs villas clôturées. A la recherche du lien social qui lui permettrait de voir à nouveau clair, Alex passe outre les grilles et les clôtures, il pénètre dans ces maisons sans y être invité.
Pourtant ses intrusions sont sans solution. Comme une glissière de sécurité qui lui aurait malgré tout évité une sortie de route, le seul choc en vérité qu’il n’a pas en voiture, seule une étreinte éphémère et irraisonnée renvoie Alex chez lui, et un peu étrangement, tout contre sa femme.
Si on ajoute dans les bons points de cette oeuvre, une épatante interprétation de Johan Libéreau (qui a des faux airs de Kool Shen), déjà formidable dans Les témoins de Téchiné il y a plusieurs années de cela , et ici, totalement habité par son personnage, et une bande son du tonnerre qui colle parfaitement aux images de virée nocturne, nous voilà avec un film assez épatant.